Il ne faut jamais accorder sa confiance aux traîtres - Ronan

Pas un seul mot. Pas un seul regard. Il était bien trop lâche pour cela. Jamais Fantine ne l’aurait cru capable de cela. Jamais. Pourtant, à la première occasion, il l’avait dénoncé. Sans aucun scrupule. C’était ignoble. Sur l’Arche, il était sans doute le seul au courant de cette relation. Et Fantine pensait pouvoir lui faire confiance, elle pensait qu’il saurait tenir sa langue. Pourtant voilà où elle en était aujourd’hui. Celui qu’elle considérait comme un véritable ami l’avait trahi. Sauf que manque de peau pour lui, ce soir-là, il était de garde dans la zone scientifique. Fantine comptait bien avoir une petite explication avec lui. Avant cela, elle devait terminer les analyses qu’elle était en train de faire avec deux de ses collègues. Ils tentaient de reproduire certains ADN, pour recréer certaines races animales sur la nouvelle Terre. Sur l’Arche, ils n’avaient pas pu embarquer toutes les sortes d’animaux possibles, il fallait donc tenter d’en reproduire certaines. Les collègues de Fantine commençaient à quitter les lieux et ceux qui travaillaient avec elle sur ce projet faisaient de même. Elle avait refusé de les suivre en prétextant vouloir terminer deux ou trois petites choses avant de partir. Une fois les lieux complètement vide, elle continuait de travailler laissant le calme s’installer dans la pièce. Elle voulait savoir si le lâche, le traître qui se trouvait en face d’elle allait ouvrir la bouche. Mais rien. Au bout d’une dizaine de minutes toujours rien. Alors Fantine allait prendre la parole, elle ne comptait pas se laissait faire comme ça. Elle ne comptait pas le laisser s’en sortir aussi facilement. Il devait payer pour ce qu’il avait fait. « Tu n’as rien à me dire ? » Fantine ne le regardait pas, elle ne levait même pas les yeux de ses recherches, pas une seule seconde. « Tu comptes te taire indéfiniment ? Tu ne pourras pas m’ignorer bien longtemps, tu sais ? » Enfin, elle relevait les yeux, ravalant sa colère pour éviter de se mettre à hurler et à avertir certains membres de l’Arche. Mais il allait devoir parler et vite.

« Je ne pourrais pas surveiller autre chose ce soir, s'il vous plaît ? » Il avait supplié. Il ne voulait pas surveiller la zone des scientifiques. Depuis octobre, il évitait soigneusement cette zone, particulièrement le soir puisqu'il pouvait se retrouver en tête à tête avec elle. Elle ? Cette Supérieure qu'il avait dénoncé pour sauver sa vie et celle de son épouse. Au final, il aurait sauvé sa vie sans cela, mais il se disait que, peut-être, sans cette dénonciation, la peine pour son épouse aurait été plus lourde. Il essayait de se rassurer. Il accumulait les actes dont il n'était pas fier depuis plusieurs mois et il avait de plus en plus de mal à le supporter. Cette Supérieure était également son amie, même si les relations amicales étaient mal vues, ils étaient passés outre puisqu'ils se voyaient souvent au laboratoire lorsqu'il y était de surveillance et que la jeune femme y travaillait, seule, tard. Ce soir-là, il priait pour qu'elle parte avant les autres, pour qu'elle ne lui parle pas. Lui, il regardait ailleurs, droit, il observait devant lui sans détourner les yeux vers elle. Pas une seule fois.

Comme souvent, elle n'était pas partie la première. Lui gardait le silence, espérant qu'elle en fasse de même. Elle pouvait quitter la zone, pas lui. Il devait surveiller le laboratoire toute la nuit et n'avait d'autres choix que de rester près d'elle. Il serra les poings lorsqu'il l'entendit parler. Alors finalement, elle voulait qu'il s'explique ? Lui n'en avait pas envie. Après tout, oui, il avait dénoncé cette amie, mais à cause d'eux, à cause des Supérieurs sa vie et celle de sa famille était un enfer. « Je suis là pour travailler, pas pour discuter ! » Lâcha-t-il les yeux toujours perdus droit devant lui. « Si ce sont des excuses que tu attends, tu pourras attendre longtemps. J'ai fait ce que je devais faire pour protéger ma famille. Tu aurais fait la même chose dans ma situation. » Simple et efficace. Il espérait que cela suffise à la faire taire.

Aux paroles de Ronan, Fantine s’était rapprochée de lui. Se postant face à lui, elle le défié du regard. Elle ne clignait pas des yeux, ni même ne les baissait. Elle avait honte pour lui et lui semblait s’en moquer. Mais quel genre de personne était-il réellement ? « Je n’attends pas d’excuses de la part d’un traître. Sache que contrairement à toi, je ne suis pas une lâche. Je ne suis pas prête à dénoncer mes soi-disant amis pour sauver ma peau. Mais désormais à mes yeux, tu n’es plus rien. Je n’en ai plus rien à faire de ta petite vie minable. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour te mener la vie dure. Jusqu’à ce que l’un de nous rende son dernier souffle. » Le ton de la jeune femme commençait à s’élever. Elle savait qu’elle ne devait pas nuire à l’ordre public et elle devait respecter le règlement. Fantine se décalait un peu de Ronan, secouant la tête, tellement déçue par ce qu’il avait fait. Elle se mettait dos à lui, avant de reprendre la parole. « À partir de maintenant, tu devras surveiller tes arrières. À chaque instant. Le moindre faux pas te coûtera la vie. Et moi aussi, je peux lâchement m’en prendre aux autres. Je ne suis pas la seule qui t'en veux pour ce que tu as fait. Ta femme, ton fils. Eux non plus ne sont pas à l’abri de tes erreurs. » Fantine ne se reconnaît plus. Elle n’était pas comme cela habituellement, mais là, si elle le pouvait, elle le ferait souffrir physiquement et mentalement, comme il la faisait souffrir depuis presque trois mois. Depuis qu’il l’avait dénoncé, Fantine était mal. Elle savait tout ce qu’elle avait perdu. Elle savait tout ce qu’elle n’allait jamais pouvoir avoir de nouveau. À cause de lui, de cet Inférieur, qui faisait des entorses au règlement et qui pour se sauver dénoncer les autres tel un enfants, alors qu’il pourrait tout simplement l’aider à se sauver elle aussi. Surtout que Fantine connaissait tout de l’histoire. Il aurait été innocenté quoi qu’il arrivait, sa femme n’aurait fait que très peu de prison. Et de toute façon, elle en faisait. « Ronan. Je ne sais pas si tu te rends compte de ce que tu as fait. Mais tu es un monstre. Un sans-cœur, qui ne pense qu’à sa petite personne et à son bien-être personnel. Tu me déçois tellement. J’ai tellement honte de toi. »

Essayait-elle de l'intimider ? De lui faire peur ? Elle savait qu'en tant que Supérieure, elle pouvait lui nuire plus facilement. Il n'était pas fier de ce qu'il avait fait, mais il ne regrettait pas, ou presque. Il avait fait ça dans l'espoir de sauver sa vie et celle de sa femme pour éviter que leur garçon ne devienne orphelin. La situation à bord de l'Arche était compliquée et se faire des ennemis, surtout chez les plus puissants, était une mauvaise idée. Il baissa enfin les yeux pour la défier du regard, comme elle le faisait. A ses menaces, il ne dit rien. Au fond, il savait qu'il le méritait. Il savait qu'il l'avait trahi et ne s'attendait pas à ce qu'elle le prenne bien. Il ne répondait rien, préférant vérifier que personne n'avait entendu la petite tirade de Fantine, prononcée trop fort. Ici, dans l'Arche, même se disputer un peu trop fort était dangereux. Elle reprit la parole, reprenant ses menaces, mais ce fut trop lorsqu'elle évoqua sa femme et son fils. Elle pouvait le menacer, mais toucher à sa famille, c'était de trop. Ronan serra ses deux poings pour essayer de contrôler la violence qu'il sentait monter en lui. A son tour, il fit un pas pour réduire l'écart entre eux. A son tour d'essayer de se montrer intimidant, même si, avec une Supérieure, c'était un jeu dangereux. « Je t'interdis de parler de ma femme ou de mon fils ! C'est bien clair ? Menace les encore une fois et tu le payeras ! » Jamais il ne pourrait leur arriver du mal par sa faute, il préférait mourir plutôt que les voir punir à cause de lui. « Tu as honte de moi ? Honte parce que j'ai voulu sauver ma famille ? J'ai voulu empêcher que mon fils devienne orphelin ? Ou vive à l'orphelinat avec ses deux parents emprisonnés ? Mais tu sais ce que c'est de vivre chez les Inférieurs, même juste pour ça, on aurait pu finir condamnés à mort. Alors que toi... Toi tu ne risquais rien ! Je savais que ton casier était vierge, je savais qu'une Supérieure n'aurait qu'un vulgaire avertissement ! Alors oui, j'ai préféré dénoncer quelqu'un qui ne risquait rien plutôt que risquer la vie de ma femme et la mienne ! Tu aurais fait exactement pareil Fantine, sinon c'est toi le monstre. »

Pensait-il qu’il pouvait lui faire peur ? À quoi bon se rapprocher de Fantine de cette façon ? Cela ne servait à rien. Fantine faisait parti des Supérieurs, lui des Inférieurs, elle aurait toujours plus d’influence que lui. Elle savait parfaitement comme s’y prendre pour le nuire si elle le voulait. Elle pouvait le faire tomber au plus bas, le faire souffrir… « Pas la peine de me menacer, tu ne me fais aucunement peur. Je n’ai pas dit que j’allais m’en prendre à ta famille. Je voulais simplement dire que du côté des Supérieurs, ça parle beaucoup de cette dénonciation. Un bon nombre veut te faire payer ce que tu as fait, histoire de te remettre à ta place. De te montrer que tu fais parti des Inférieurs et que les Supérieurs sont au-dessus de toi, que tu n’as pas à penser le contraire. » Comment osait-il la menacer après tout ce qu’il avait fait contre elle ? Fantine ne s’en prendrait pas à un enfant. Elle avait un cœur, contrairement à certains. Mais il était vrai que du côté des Supérieurs, beaucoup avaient parlé de cette histoire. Beaucoup ne comprenaient pas non plus pourquoi, est-ce qu’il avait fait ça. Certains étaient prêt à tout pour éviter de se laisser faire par des Inférieurs. Fantine n’était pas comme cela. Elle détestait cette distinction entre Supérieurs et Inférieurs, mais avec Ronan, elle avait désormais envie de s’en servir.

Les mots s’enchaînaient dans la bouche de Ronan et chaque parole énervait d’avantage Fantine. Comment pouvait-il dire tout cela ? Fantine s’énervait sans hausser le ton, elle avait entendu du bruit dans le couloir et savait que ce n’était pas le moment de crier. « Oh, arrête s’il te plaît. Tu savais très bien que toi, tu ne risquais rien et tu savais très bien que Astéria n’allait écoper que de peu de prison. Tout ça, tu le savais. Tu savais aussi certainement qu’en me dénonçant, ça n’allait rien changer à vos peines. Et jusqu’à preuve du contraire, ça n’a rien changé. Astéria est en prison comme c’était prévu, ton fils n’est pas à l’Orphelinat comme c’était prévu. Moi, j’ai perdu plus que toi au final. Tu sais que tu vas retrouver Astéria très vite, alors que moi j’ai tout perdu. Je ne pourrais plus jamais le retrouver. Moi, je ne risquais rien, mais lui ? Tu ne savais même pas si son casier était vierge ou non. Tu ne savais pas si tu risquais sa vie ou non. Et contrairement à ce que tu dis, je n’aurais pas fait la même chose. J’assume mes erreurs et je n’ai pas envie que les autres payent à ma place. Si j’avais été dans ton cas, j’aurais tout fait pour m’en sortir, j’aurais joué avec mes relations, j’aurais fait n’importe quoi sauf dénoncer quelqu’un. » S’il pensait tout cela de Fantine, alors il ne la connaissait pas. Ils n’étaient donc pas de vrais amis par le passé, puisqu’aujourd’hui il n’était plus rien pour elle. C’était terminé. Elle ne pouvait pas lui pardonner. Jamais. « J’aimerais savoir une chose. Est-ce que c’est pour te venger de quoi que ce soit ? Est-ce que je t’ai fait quelque chose ? Ou est-ce que c’est par hasard que tu as choisi de me dénoncer moi ? Celle qui était autrefois ton amie. Celle qui aimait prendre ta défense et celle des Inférieurs ? Dis-moi. » Fantine voulait comprendre. Il y avait certainement d’autres raisons. Fantine n’était certainement pas la seule à avoir enfreint le règlement en dehors de Ronan et astéria, il devait en connaître d’autres, alors pourquoi Fantine ?

Il essayait de l'intimider, de lui faire peur parce que c'était la seule chose qu'un Inférieur puisse faire face à une Supérieur. Alors qu'elle, elle pouvait tout lui faire voir, elle avait plus d'influence, plus de pouvoirs. Il jouait avec les cartes qu'il avait en main, comme elle, elle le faisait. « C'est plus une mise en garde qu'une menace. » indiqua-t-il. S'il savait qu'il n'avait aucun pouvoir contre Fantine, il savait aussi qu'il était prêt à tout pour sa famille et jamais il ne les laisserait être menacés. A ses mots, il se mit à rire cyniquement. « Tu crois que je ne sais pas tout ça ? Votre vie est bien simple à vous, les Supérieurs, non ? Je sais que vous pouvez me le faire payer, que vous pouvez me dénoncer pour rien, même un mensonge, et que je le payerais quoi qu'il arrive, même sans preuve... Je sais que vous avez plus de pouvoirs et d'influence que moi. Je sais que beaucoup d'entre vous m'en voulez, mais que veux-tu que j'y fasse ? » Cette histoire avait beaucoup fait parler d'elle. Un Inférieur qui ose dénoncer une Supérieure, même pour une histoire vraie, quel scandale ! Ronan savait parfaitement qu'il allait le payer tôt ou tard à cause de Fantine ou d'un autre Supérieur.

« C'est être une Supérieure qui te rend si bête ? » demanda-t-il à voix basse parce qu'il avait entendu du bruit et ne voulait prendre aucun risque. « Et comment pouvais-je le savoir ? » s'agaça-t-il. « Vos peines changent en fonction de vos humeurs. Astéria et moi risquions la prison ou la peine de mort, on n'en savait rien ! Alors que toi, tu ne risquais même pas la prison ! » cracha-t-il, montrant toute la haine pour ces injustices dans sa voix. « C'est parce que je t'ai dénoncé qu'elle a eu, en partie, une peine allégée. » Ce n'était pas la seule raison, mais elle en faisait partie. « Et je ne savais pas que je ne risquais rien parce que je ne savais pas que ce bébé n'était pas de moi ! J'ignorais que j'étais à l'abri quoi qu'il advienne ! » S'énerva-t-il ! C'était un mensonge, ce bébé était bien de lui, mais il ne pouvait pas le dire, il prendrait alors le risque de se voir emprisonné avec sa femme. « Pour ton Inférieur, je m'en fiche, je me fichais de savoir ce qu'il adviendrait de lui parce que je ne le connaissais pas, tout ce que je savais c'est que toi tu ne risquais pas ta vie, ni même la prison ! Alors le choix a été vite fait ! » Il s'énervait de plus en plus, ses poings se serraient davantage à chaque minute, à bout de nerfs, il était à deux doigts de craquer. « Puis s'il te manque tant, rejoins les Inférieurs, abandonne tous tes privilèges et tu verras ce que c'est de devoir se battre pour sa famille et pour vivre en permanence ! » souffla-t-il, agacé.

« Tu n'as rien fait Fantine, d'accord ? C'était le seul crime que je connaissais qui pouvait nous sauver ! Tu crois vraiment que les gens, amis compris, se confient à un milicien ? » Beaucoup craignaient la dénonciation, milicien ou non d'ailleurs, les secrets n'étaient jamais aussi bien gardé que sur une Arche semble-t-il. Beaucoup souhaitaient simplement éviter de se retrouver dans une situation semblable à celle de Fantine et Ronan.

Ce n’était pas une menace, mais une mise en garde. Bien évidemment. Ça ressemblait beaucoup à une menace, étrange non ? Après tout, que pouvait-il lui faire ? Il l’avait déjà trahi, il l’avait déjà dénoncé. « Si tu le dis. » Fantine haussait les épaules en prononçant ces mots, elle n’avait pas envie de se prendre la tête avec cela. Il pensait réellement que vivre chez les Supérieur était une sorte de paradis ? Tout le monde devait suivre les mêmes règles. D’accord, les Supérieurs avaient plus d’avantages, mais il n’avait pas tous une vie parfaite. Fantine ne pouvait pas avoir tout ce qu’elle voulait, elle ne pouvait pas être avec l’homme qu’elle aimait. Elle devait continuellement faire ses preuves dans son travail, elle savait que le moindre faux-pas, pouvait désormais lui coûter la prison, voire la mort. C’était une vie simple et parfaite ? Certainement pas. « Nous n’avons pas tous une vie parfaite quand on est chez les Supérieurs. Je déteste le fait que l’on puisse faire tomber des gens juste parce qu’on est d’une meilleure classe qu’eux. Je n’aime pas ça. Pourtant, maintenant je comprends qu’on puisse le faire, avec des gens comme toi. Parce que oui, maintenant, j’essayerai de te faire tomber. Et en effet, tu ne pourras rien y faire. » Il était vrai que Fantine n’avait jamais accepté cette séparation, en grandissant, elle avait d’avantage compris que c’était d’un ridicule sans nom. Pourtant depuis le mois de décembre, elle ressentait de la haine envers Ronan et elle n’avait qu’une envie, le faire souffrir à son tour, le nuire. Il était Inférieur, elle Supérieur, elle savait qu’elle pouvait jouer de cela. Pour une fois, cette distinction était des plus convenables. « Je ne te permets pas de me parler comme ça. Arrête s’il te plaît. Je connais tout de l’histoire, je sais que tu étais certains que tu ne risquais plus rien, avant de me dénoncer. Désolée de te dire qu’ici, j’ai plus d’importance que toi et que par conséquent on m’a absolument tout raconté de l’histoire, dans le moindre détail. » Fantine marquait une courte pause. Un Supérieur était venu dire à Fantine, que Ronan avait su qu’il ne risquait plus rien et que Astéria ne risquait plus la prison à vie, avant de la dénoncer. Alors, il n’avait pas d’excuse. « Astéria aurait pu prendre une peine un peu plus alourdie, ça n’aurait durait que peu de temps supplémentaire, c’était certains. Pour gagner quelques mois, tu as préféré me dénoncer. » Quelques mois de plus en prison, ce n’était rien. Plutôt que de dénoncer une amie. « Et cet enfant n’était pas de toi, sincèrement ? » Les paroles de Fantine semblaient sincères, mais ce n’était évidemment pas le cas. Son visage s’était rapidement transformé. Elle sentait la haine l’envahir de plus en plus. Comment osait-il lui mentir ? Après ce qu’il avait fait, il lui devait bien la vérité. « Non, mais de qui tu te moques ? Ce bébé était de toi. Astéria ne t’a jamais trompé et ne te trompera jamais. Ne me prends pas pour une idiote. Mais merci de m’avoir rappelé ce mensonge. Parce que si je le souhaite, je vais voir un des gouverneurs pour lui dire que tu as menti et que Astéria a menti, que cet enfant est bien de toi. Je peux dire que tu m’as confié ce secret, parce que tu avais des remords. Et en temps que membre de l’Arche, je me devais leur avouer la vérité. À ton avis qui de nous deux ils croiront ? » Fantine laissa échapper un léger rire. Elle tenait le moyen de faire tomber Ronan. Elle savait comment briser son couple et sa famille, comme Ronan avait fait avec elle. Fantine avait perdu son petit ami, ses parents ne la regardait plus comme autrefois, puisqu’elle avait transgressé les règles. Mais le faire chanter, le menacer, n’était que le début de sa petite vengeance.

Les mots s’enchaînaient dans la bouche de Ronan et la colère montait en Fantine. Comment pouvait-il être aussi cruel. Comment pouvait-il se ficher de la vie d’un homme comme il le faisait en ce moment même. Fantine n’aurait jamais imaginé le voir comme cela un jour. Sans même s’en rendre compte la main de Fantine était arrivée dans la figure de Ronan. Elle venait de le gifler. Il ne l’avait pas volé. « Tu n’as pas le droit de dire que tu te fiches de la vie de quelqu’un. Et ne me fait pas croire que tu as pensé à moi une seule seconde avant de me dénoncer, je n’y crois pas. Je me bats en permanence pour ne pas perdre ma place, perdre mon rang. Je me bats pour aider l’Arche, pour aider tout ceux qui y vivent. Je n’ai pas envie d’abandonner mes parents, d’abandonner mon travail, d’abandonner mes vrais amis. Je préfère rester avec des gens de confiance, plutôt que de me retrouver dans un endroit où des traîtres ne seront pas loin. » Elle avait déjà songé à quitter les Supérieurs, mais elle savait que ses parents ne lui pardonneraient pas cet acte, elle les aimait et ne voulait pas les perdre. Elle était alors condamnée à choisir entre ses parents, ses amis et son petit-ami. « Ne me fais pas croire que tu ne connaissais personne d’autres qui avais commis des crimes. Tu le dis si bien, tu es milicien. Tu as le nez partout tout le temps. Tu as déjà pu voir des choses suspectes, des choses qui était hors la loi. Tu aurais pu dénoncer quelqu’un que tu n’aimais pas, que tu ne connaissais pas. Puisque tu voulais tant dénoncer quelqu’un. » Il avait percé le secret de Fantine. Il n’allait pas lui faire croire que c’était le seul. Il avait sans doute surpris des gens en train de faire des choses illégales, en train de dire des choses illégales. C’était obligé. Sinon, il n’avait qu’à assumer seul ses actes.

Ronan souriait, amer. Comment les Supérieurs pouvaient-ils se plaindre de leur vie quand ils voyaient la vie qu'ils offraient aux Inférieurs ? Bien sûr, leur vie n'était pas parfaite et pouvait être compliquée. Bien sûr, ils devaient obéir aux lois comme les Inférieurs. Sauf que, contrairement à ces derniers, leur vie était meilleure, les lois moins dures, les conditions meilleures, les peines moins lourdes... Alors, entendre les Supérieurs se plaindre, c'était juste risible. « Fais-le Fantine. Dénonce moi. Deviens ce que tu détestes et vis avec comme je dois le faire, tu verras comme c'est difficile. » Il ne voulait pas se montrer faible, mais il lui disait la vérité. Il accumulait les actes dont il n'était pas fier. Il voulait juste protéger sa famille et pour ça, il était obligée de faire des choses qui n'étaient pas dans sa nature. « La seule différence, c'est qu'en te dénonçant, je savais que tu ne risquais pas ta vie alors que si tu me dénonces, tu vivras certainement avec ma mort sur la conscience. » Etait-elle prête à aller jusque là ? Etait-elle prête à vivre avec la mort d'un ancien ami sur la conscience ? Vivre avec une trahison était très difficile alors avec un meurtre, Ronan n'imaginait même pas.

Elle ne lui permettait pas de parler comme ça ? Maintenant, elle lui donnait des ordres et lui permettait telle ou telle chose. Elle ne connaissait pas toute l'histoire, Ronan lui-même n'était plus sûr de ce qui était vrai ou de ce qui était faux parfois. « Tu parles comme si tu étais certaine de toi. Elle aurait pu être tuée, elle aurait pu passer des années en prison pour une erreur, une malheureuse erreur. Tu trouves ça juste ? » soupira-t-il. Il s'agaçait réellement, s'énervait de voir tant d'ignorance ou de mauvaise foi chez Fantine. « Fantine, as-tu seulement idée de ce que sont les conditions en prison ? Tu n'y as jamais mis les pieds, tu ignores tout comme tous les petits privilégiés de ton rang. » Il haussait la voix. Il savait parfaitement qu'il avait tort et il prenait des risques, mais c’en était trop pour lui.

La haine montait en lui. Ses poings se serraient davantage. Son visage était dur. Elle avait des choses contre lui et elle pouvait s'en sortir. Jamais il ne laisserait son fils devenir orphelin parce que Fantine prouverait le mensonge d'Astéria et Ronan. Ses mots, son rire... Ronan ne pouvait en supporter plus. Pendant un instant, il ne se contrôlait plus. Il attrapa Fantine par les épaules et posa ses yeux pleins de haine dans les siens. « Tais-toi ! » lui ordonna-t-il. « Tais-toi ! » répéta-t-il plus doucement, se rendant compte de son geste. Il la lâcha, se recula d'un pas et reprit : « Cet enfant n'était pas de moi. Astéria m'a trompé. Elle l'a fait. Et je ne veux plus jamais parler de ça. » C'était le mensonge qu'avait raconté sa femme pour sauver la vie de Ronan, ils n'avaient pas vraiment eu l'occasion d'en discuter, mais il s'était persuadé que ce n'était qu'un mensonge, il en était presque certain.

La discussion continuait, le ton montait. Lui ne pouvait pas quitter son poste, mais elle, quel plaisir prenait-elle à rester ici, face à celui qui lui avait gâché la vie ? Elle venait de le gifler. Il se retint de ne pas réagir. Il se contenait, après sa réaction de tout à l'heure, il avait plutôt intérêt. « Je me fiche de la vie de tous les habitants de cette Arche si c'est pour sauver ma famille. Ma femme et mon fils, c'est tout ce que j'ai ici. » Il soupirait. « Fantine, je savais que tu ne risquais rien ! » se répéta-t-il. « Tu ne veux juste pas abandonner ton petit confort, rien de plus ! Tu n'étais pas prête à tout pour lui comme je l'étais pour ma famille, c'est ça qui t'embête le plus, non ? De voir que tu n'es qu'une lâche incapable d'abandonner sa vie pour celui qu'elle dit aimer ? » Il la provoquait et il avait tort. Elle avait trop de pouvoirs sur lui. Et il prenait beaucoup de risques en parlant ainsi. « Je ne connaissais personne d'autre Fantine ! Comment dois-je te répéter qu'on ne me dit rien pour justement éviter ce genre de situations ? Je dois dénoncer chaque crime pour éviter d'être puni moi-même ! J'ai arrêté mon meilleur ami parce qu'il voulait sauver son fils, alors tu vois, personne ne peut se confier à moi de peur d'être trahi ! » Elle devait le comprendre. Comprendre qu'elle n'était pas la seule, qu'il faisait son travail, rien de plus et qu'il se sauvait la vie comme chaque personne de cette Arche. Il n'en pouvait plus. Il était fatigué de cette discussion.

Le ton montait de plus en plus entre les deux anciens amis. Fantine n’acceptait pas ce qu’avait fait Ronan et Ronan ne comprenait pas pourquoi elle réagissait comme cela. « Tu ne serais pas en train de me dire que tu es à plaindre là ? Si ? Parce que tu ne l’es pas Ronan. Vous vous êtes foutus tout seuls dans ce bordel, vous auriez dû vous en sortir seuls et ne pas me mettre dans vos histoires. » Ronan à plaindre ? À cause de ce qu’il avait fait à Fantine en plus ? Non, mais de qui se moquait-il ? Que devait dire Fantine dans ces cas-là ? À quel point était-elle à plaindre dans ce cas ? Il l’avait dénoncé. C’était lui qui avait pris cette décision. C’était lui qui avait choisi de dénoncer l’une de ses plus fidèles amies. Alors il n’était pas à plaindre. Il aurait pu en dénoncer tellement d’autres. Mais pourquoi elle ? « Tu aurais pu risquer ma vie Ronan. Peut-être pas à cause du gouvernement, mais à cause des membres de l’Arche. Tu sais à quel point certains d’entre-eux peuvent être dangereux. Tu le sais mieux que personne. » Fantine n’était pas un monstre. Elle n’aimait pas la violence, elle n’aimait pas la souffrance, elle n’aimait pas faire du mal. Bien évidemment qu’elle ne voulait pas avoir la mort de Ronan sur la conscience, mais elle ne savait plus de quoi elle était capable en ce moment.

« Je n’ai jamais dit que je trouvais cela juste. Mais j’aurais pu t’aider. J’aurais pu jouer de mes relations pour vous aider. Tu sais que j’ai de très bonnes connaissances. Tu sais que je suis… que j’étais apprécié par des personnes hauts placées. Maintenant, j’ai perdu cette confiance et je vais devoir travailler énormément pour essayer de regagner cette confiance. » Bien évidemment que Fantine aurait tout fait pour aider Emma à sortir de là. Elle aurait tout fait pour protéger Arthur, pour protéger Ronan. Mais maintenant, elle n’aurait plus l’occasion de le faire. « Je n’ai jamais demandé à naître chez les Supérieurs. Je n’y peux rien si ma mère est une brillante scientifique qui a été choisi chez les Supérieurs pour ses brillantes qualités. Je sais très bien ce qu’est la vie des Inférieurs, je sais très bien ce qu’est la vie des pauvres gens en prison. Je n’y vis peut-être pas, mais je sais ce que s’est. Si je ne savais rien de cela, si je me fichais de cela, penses-tu réellement que je serais contre ces injustices, penses-tu que je serais devenue amie avec de Inférieurs. » Ronan haussait la voix et Fantine le faisait également. Plus Ronan parlait, plus il la décevait. Comment avait-elle pu être amie avec un homme comme lui ? Comment avait-elle pu lui faire confiance ?

Ronan s’énervait de plus en plus. Il avait des choses à se reprocher. Nerveusement, il s’était approché de Fantine, l’avait attrapé par les épaules brutalement et avait commencé à lui hurler dessus. « Ne refais plus jamais ça Ronan. » Fantine s’éloignait de cet homme qu’elle ne reconnaissait pas. Qui était-il réellement ? Elle remarquait qu’elle ne le connaissait pas. Il avait fallu quelques secondes pour que Fantine reprenne ses esprits. « Emma t’a trompé. Elle est tombée enceinte d’un autre homme, elle a avorté. Et tu prends sa défense... » Fantine ne comprenait pas. L’aimait-il à se point pour défendre une femme qui l’avait trompé, qui était enceinte d’un autre homme ? « Elle a enfreint tellement de lois avec cet acte. Un second enfant, ce qui est interdit, l’avortement qui lui aussi est interdit. » Fantine se rapprochait de nouveau de celui qui était autrefois son ami. « Tu m’as dénoncé pour un crime, afin de protéger une personne qui en avait fait autant, pour protéger une personne qui t’avait trahi. Je ne te comprends pas Ronan. Je ne sais plus qui tu es ? Depuis quand tu protèges des crimes aussi important ? Depuis quand tu protèges des infractions par des injustices ? » Emma l’avait trompé et lui semblait s’en moquer. Il travailler dans la milice et pourtant, il protégeait tant de crimes venant d’une seule et même personne, alors qu’il procédait à des arrestations, prenait des plaintes, regarder des gens croupir en prison pour moins que cela… Comment pouvait-il encore travailler ? Comment le gouvernement pouvait encore lui faire confiance.

« Abandonner mon confort ? Mais je me fiche de mon confort, je me fiche de le perdre. Tu n’as toujours pas compris que j’ai simplement mal d’avoir perdu la personne que j’aime. Que j’ai peur pour lui, pour sa vie. C’est parce que tu as risqué la vie de cet homme que je t’en veux. Tu savais que je tenais à lui, tu savais que tu risquais sa vie et tu t’en fichais totalement. Ce n’est pas ce Ronan là que j’appréciais. Toi, je te déteste tellement. Je ne suis pas une lâche, en revanche toi, tu es un lâche. Tu n’es pas capable de te défendre seul. Ta seule défense est de faire souffrir les autres. Je suis prête à tout pour lui, mais je n’aurais pas mis la vie de quelqu’un que j’aime pour une autre personne que j’aime. Il ne s’agit pas du même amour, mais pour moi, vous comptiez tous les deux beaucoup pour moi. Mais maintenant. Je n’hésiterai plus une seule seconde à te détruite toi et ta petite vie minable pour me sauver moi, mon confort de Supérieur, mes privilèges de Supérieur et pour sauver l’homme que j’aime, l’honneur de ma famille. Je serais même prête à te détruire pour la moindre petite chose, même si à mes yeux elle ne représentait rien. » Fantine enchaînait les mots. Elle s’énervait de plus en plus, bien qu’elle essayait de ne pas attirer l’attention. « En effet, Ronan, personne ne peut se confier à toi. Tu es un monstre, un être horrible et détestable. Je m’en veux tellement d’avoir pu un jour t’accorder ma confiance. Tu as dénoncé un homme, censé être ton ami, alors qu’il tentait de sauver un enfant. Vous cachez des secrets en partie pour tenter de sauver Arthur, alors je devrais peut-être vous dénoncer. » Fantine voulait le faire craquer, elle n’attendait plus que ça, le faire souffrir un peu plus à chaque parole. Elle ne se reconnaissait pas là, mais elle lui en voulait, il ne s’en était pas pris qu’à elle en faisant tout cela. Elle comptait bien lui faire payer cette trahison chaque seconde de sa misérable vie.

Ronan et Fantine. Fut un temps où ils étaient amis. Ce n'était pas bien vu par certaines de leurs connaissances, mais ils s'en fichaient. Persuadés qu'ils avaient réussi à braver ces différences qu'on leur imposait. Persuadés qu'ils pouvaient être amis et le rester malgré leur rang respectif. C'était une belle idée, un bel idéal, mais presque impossible à mettre en pratique. Ces différences, ces inégalités les avaient rattrapées. Ronan aurait aimé ne jamais dénoncer Fantine et conserver cette amitié dont il aurait eu grand besoin. Il avait été pris au dépourvu, il avait eu si peur et n'avait pas réfléchi plus que nécessaire aux conséquences de ces actes. Il n'avait voulu qu'une chose, alléger leurs peines et ne pas laisser un pauvre orphelin de plus sur cette Arche. « Je ne veux pas que tu me plaignes Fantine, juste que tu essayes de me comprendre... » de comprendre dans quel désarroi il était, mais il ne l'ajouta pas, préférant le garder pour lui. Ils s'étaient foutus dans cette merde tous seuls ? C'était faux. Le hasard, le destin ou peut-être la malchance les avait foutu dans cette merde. Ce deuxième enfant était arrivé malgré toutes les précautions qu'ils prenaient et, ça, l'Arche n'en tenait même pas compte. Puisqu'avoir plus d'un enfant était interdit, pourquoi interdire l'avortement, si ce n'est pas trouver des raisons de punir, encore et encore ? « Je le sais. Mais je sais aussi que beaucoup ne prendront jamais le risque de s'en prendre à toi. Ils ne prendront pas le risque de mourir parce que tu as eu une malheureuse aventure avec un Inférieur. » soupira-t-il, lassé de devoir s'expliquer encore et encore. Fantine n'avait risqué sa vie à aucun moment, ou presque. De ça, il en était certain.

« Tu crois que tu aurais été mieux regardé après avoir aidé deux Inférieurs en usant de ta position ? Que tu es naïve Fantine... » Fantine ne vivait pas sur la même Arche qu'eux. Fantine vivait dans son monde idéal, presque parfait. Ronan et Emma vivaient dans le monde réel, cette réalité si difficile à accepter et à vivre pour les Inférieurs. « Tu as de la chance, tu sais que tu peux regagner leur confiance... Nous, on n'a pas cette chance ! » affirma Ronan, agacé de tous ces privilèges. Eux, la confiance ils ne pouvaient presque jamais la gagner. Alors la regagner après une faute, une erreur... C'était impensable, tout simplement. Ronan savait désormais que le moindre faux pas, la moindre erreur, même la plus infime lui coûterait plus que la prison. Il en perdrait la vie, simplement.

Évidemment que Fantine n'avait rien demandé. Évidemment qu'elle était née chez les Supérieurs par hasard, mais cela ne changeait rien aux privilèges qu'elle avait, sans même les avoir gagnés. Elle n'était là que grâce à ses parents, rien d'autre. « C'est bien beau d'être contre les injustices pendant que l'on profite de tous les privilèges ! Tu ne sais pas ce que sont nos conditions de vie, tu ne connais pas la réalité. Tu connais les règles, tu le sais, mais tu ne le vis pas et c'est toute la différence. » Il s'énervait, serrait les poings et soupirait pour se calmer, mais ce n'était pas suffisant. Ce n'était pas efficace. Les Supérieurs connaissaient, en théorie, les conditions de vie des Inférieurs, mais rien de plus. Ils ne vivaient pas avec la peur permanente de la mort au-dessus de la tête. Ils ne vivaient pas avec toutes ces interdictions.

Ronan ne se reconnaissait plus, comme bien souvent depuis des mois. Il en devenait à ne plus se contrôler, attrapant Fantine par les épaules pour qu'elle se taise. Elle essayait de le pousser à bout, ce qui n'était pas bien compliqué. Aussitôt, il s'en voulut et se rendit compte de son erreur. Ce geste seul pouvait lui coûter beaucoup. Il écoutait Fantine énumérer les erreurs d'Emma. Il poussait un long soupir d'agacement. Avait-elle besoin de lui rappeler tout ça ? Quel plaisir cela lui procurait ? « Je l'aime ! » Lui hurla-t-il dessus. « Malgré tout ce qu'elle a fait, je l'aime. » C'était certainement la meilleure des raisons, l'amour qu'il lui portait. La meilleure et la plus juste. Celle que l'on comprendrait la plus facilement. « Je ne protège pas des crimes ou des infractions Fantine, je protège celle que j'aime, qui partage ma vie. Je fais respecter les lois, mais je ne suis pas d'accord avec elles. Ne peux-tu pas comprendre que je suis plus loyal envers mon épouse qu'envers l'Arche ? » Il soupire une nouvelle fois, détournant les yeux, n'en pouvant plus de cette conversation sans fin.

Bien sûr qu'elle refusait d'abandonner son petit confort. Pourquoi le ferait-elle juste pour une aventure ? Tout le monde le cherchait ce confort, tout le monde le désirait. Il perdait patience, ses nerfs avaient lâché depuis bien longtemps maintenant. Il riait nerveusement à certains de ses mots. Comment pouvait-elle oser dire tout cela ? « Tu n'es pas prête à tout pour lui ! Si tu l'aimais tant, il n'y avait que deux solutions qui ne lui faisaient courir aucun risque, pourtant tu n'as choisi aucune d'elle. Pourquoi n'abandonnes-tu pas ces horribles Supérieurs qui t'empêchent de vivre cet amour ? Pourquoi avoir cédé à cette tentation en sachant que tu mettais sa vie en danger ? Pourquoi avoir enfreint les règles ? Si je devais assumer mes actes et ceux d'Emma, vous deviez faire pareil. Tu devrais être contente, je dénonce chaque crime, même si mes amis sont concernés. » N'était-ce pas ce qu'elle lui reprochait il y a quelques minutes ? Elle devait donc être heureuse de le voir faire respecter la loi.

Elle continuait de le menacer, encore et encore. N'étaient-ils pas censés être d'anciens amis ? D'anciens amis pouvaient-ils se détruire à ce point ? Ses mots blessaient, faisaient terriblement mal et Ronan se sentit faiblir tout à coup. Il était devenu tout ce que disait Fantine, c'était vrai. Il était détestable et mauvais. Il était loin de l'homme qu'il était autrefois, détruit par tant de culpabilités. « Je t'interdis de me parler de ça ! » Il l'avait fait le premier, mais désormais, il ne voulait plus en entendre parler. « Je t'interdis de menacer ma famille ! Tu ne crois pas qu'Arthur a suffisamment souffert ? » Peut-être qu'en la faisant culpabiliser, elle arrêterait. « Si je suis si horrible et détestable, pourquoi t'embêtes-tu avec moi ? Tu n'as rien de plus important ou intéressant à faire que t'adresser à un misérable Inférieur ? »

« Que j’essaie de te comprendre ? Non, mais sérieusement ? » Elle devait essayer de le comprendre ? Comment le pouvait-elle ? Son ami l’avait trahi et de la pire des façons. Ce qu’il avait fait été tout bonnement monstrueux et impardonnable. Fantine n’avait pas envie de le comprendre, elle n’avait pas envie de se mettre à sa place. Il était coupable de différents crimes, il avait dénoncé celle qu’il disait être son amie pour s’en protéger, voilà toute l’histoire. « Qu’est-ce que tu en sais Ronan ? Comment tu peux savoir que cela ne me coûtera pas la vie ? Si ça ne coûte pas la mienne, pense à celle de cet Inférieur qui n’y est pour rien dans vos histoires et qui pourtant en paie le prix. Personnellement, je connais beaucoup de personne au sein de cette Arche qui sont prêtes à me faire payer cher mon affront, ma relation avec un Inférieur. » Elle savait très bien que nombreuses étaient les personnes qui voulaient à tout prix que tout le monde respecte bien les lois de cette fichue Arche. Pour cela, ils étaient prêts à tout, même à tout faire pour que les coupables de ce crime soit menés à la mort. Fantine savait ce qu’elle risquait, ce que son petit-ami risquait, c’est pourquoi ils avaient su être très discrets tous les deux. D’ailleurs, ils le seraient sans doute encore aujourd’hui, si Ronan ne les avait pas lâchement dénoncer pour sauver une femme qui l’avait trahi.

Naïve ? Non, il ne savait juste pas de quoi était capable Fantine pour protéger ceux qu’elle disait être les siens. « Je ne suis pas naïve Ronan. Simplement, cela aurait été différent. En vous aidant, j’aurais pu rester discrète. Je sais à qui m’adresser et comment le faire. J’aurais pu vous sortir de ce mauvais pas sans que rien ne s’ébruite. En me dénonçant, tu as fait parler les mauvaises langues. Tout le monde s’est empressé d’aller raconter que la parfaite petite scientifique a enfreint les règles, qu’elle a eu une relation avec un Inférieur. Tu ne t’es pas adressé aux bonnes personnes, alors que moi, je savais à qui l’on pouvait faire confiance… au sein de l’autorité du moins. » Fantine en était persuadée. Elle aurait pu s’en sortir en s’adressant aux bonnes personnes. Elle aurait su parler aux personnes ayant de l’influence, mais aussi ayant de l’affection pour Fantine. Elle savait à qui elle pouvait s’adresser et à qui elle ne pouvait pas le faire. Elle s’était forgée de solide relation, pour ce genre de situation, pour aider les personnes qu’elle aimait en cas de réel besoin, pour se sortir elle ou ses parents d’un mauvais cas. Et maintenant ? À cause de Ronan tout cela était sans doute fichu. « Ronan arrête s’il te plaît. De toute façon, si j’en crois tes plaintes, tu n’as jamais eu la confiance des Supérieurs, alors de quoi est-ce que tu te plains ? Et pour ta gouverne, je ne suis pas certaine de pouvoir regagner leur confiance un jour. J’aime un Inférieur et je me lie d’amitié avec des Inférieurs. Rien de tout cela n’est normal pour ceux de mon rang. Je ne sais pas s’ils vont de nouveau me faire confiance, je ne sais pas si, un jour, ils oublieront cette histoire, mais je vais essayer de tout faire pour en tout cas. » Il était vrai que Fantine avait une chance de se faire pardonner des siens. Mais plus jamais leur regard ne serait le même. En étant amie avec Emma, avec Ronan, en aimant un Inférieur, en se mêlant à ce rang, elle attirait l’attention et pas de la meilleure des façons, pourtant, elle continuait de le faire, car elle tenait à chacune de ces personnes. Et maintenant ? Que devait-elle faire ? Elle n’avait plus le droit d’être avec celui qu’elle aimait, elle n’avait plus l’envie, ni même la force de rester avec ceux qu’elle considérait autrefois comme une seconde famille.

En effet, elle ne vivait pas chez les Inférieurs, elle ne savait pas ce que c’était d’être dans cette situation, mais elle le voyait bien, elle se l’imaginait bien. Si elle n’avait aucune conscience de cela, elle ne s’embêterait pas à vouloir que les choses changent, elle ne se serait jamais adressée à des Inférieurs en les considérant simplement comme des humains, tout comme elle et n’importe qui sur cette Arche. « Je ne vis pas dans vos conditions, mais je sais ce que c’est Ronan. Je t’interdis de dire le contraire. Je tiens juste à te préciser que j’aime quelqu’un qui vit dans ses conditions, je sais ce que c’est. Et honnêtement, pour des personnes comme toi, je ne souhaites rien d’autres que de vivre dans cette situation. Au final, tu ne vaut pas mieux que ce que les Supérieurs disent que vous êtes. Tu es à ta place chez les Inférieurs, tu ne mérites pas mieux. Pour être honnête, si cela ne tenait qu’à moi, tu en mériterais même bien moins. » Fantine s’emportait. Elle n’avait jamais accepté la vie des Inférieurs, pourquoi avaient-ils droit à un traitement de faveur différents ? Après tout, c’étaient tous des Hommes, comme les Supérieurs, qu’avaient-ils de si différents ? Pourtant, à cet instant, Fantine ne pouvait qu’approuver le fait que Ronan se retrouve chez les Inférieurs, car à cet instant, Fantine ne lui souhaitait qu’une seule chose : vivre dans les pires conditions possibles.

Ronan haussait la voix, il allait finir par alerter d’autres personnes qui viendraient se mêler un peu trop de ce qui était en train de se passer. « Si je peux le comprendre Ronan. Je n’ai pas été très loyale envers l’Arche et en temps normal j’aurais tout fait pour vous aider, absolument tout ce que je pouvais. Mais, ce que je ne comprends pas, c’est ce que tu as fait. L’amour n’excuse pas tout Ronan. Et ce que tu as fait est impardonnable. » Bien évidemment qu’elle pouvait comprendre qu’il ait fait passer son épouse avant l’Arche. Fantine faisait elle-même passer beaucoup de choses avant l’Arche, mais ce qu’elle ne comprenait pas, c’était qu’il l’ait dénoncé pour se sauver et pour sauver Emma, même si c’était parce qu’il l’aimait. Il y avait d’autres façons de la sauver. Il fallait simplement qu’il fasse fonctionner un peu sa cervelle au lieu d’agir sans réfléchir.

« Parce que j’ai un cœur moi Ronan. Je pense à mes parents. Ils ont tout fait pour moi. Je ne peux pas leur faire ça. De là où je suis, dans ma position, j’avais une chance de vous aider. Quand on aura quitté l’Arche, ce sera différent, mais pour le moment, je n’ai pas le choix, je dois rester là où je suis. Et je ne voulais pas lui faire courir de risque, simplement… ça s'est passé autrement voilà tout. D’ailleurs à cause de tes actes, je me suis éloignée de lui, pour le protéger justement. Il n’est plus question que l’on se voit, pour éviter qu’il ne lui arrive malheur et tout cela par ta faute. » Elle n’avait pas tort, elle faisait tout pour le protéger lui. Elle se devait aussi d’être loyale envers ses parents. Elle ne voulait ni la perte de l’un, ni la perte de l’autre. Comme-ci tout abandonner était si simple. Fantine n’avait plus d’autres choix, elle devait oublier l’homme qu’elle aimait, pour le protéger, pour qu’il puisse de nouveau être en sécurité. « Et je tiens à préciser une chose, je me fiche que tu ne respectes pas les lois, mais assume le seul ou avec ta famille peu m’importe. Mais ne fait pas entrer dans ton malheur et dans tes problèmes des personnes qui tu disais être tes amis. Parce que ce n’est qu’un mensonge de plus. » Il était impossible de parler d’amitié. Qui pouvait avoir le cran de dénoncer une aussi proche personne pour sauver sa peau. Il était milicien, il entendait et voyait sans doute des choses qu’il pouvait dénoncer sans mêler Fantine à toutes ces histoires, il n’avait simplement pas eu l’envie de chercher plus loin, il s’était contenté de la facilité, voilà tout.

Fantine continuait à parler, elle avait besoin de vider son sac et de dire à Ronan tout ce qu’elle lui reprochait et tout ce que son acte pouvait avoir comme conséquence. Si Fantine pouvait les aider autrefois, elle pouvait aussi très bien les anéantir maintenant. Avec un peu de travail elle pouvait regagner la confiance des siens et détruire ceux qui l’avait détruite. « Je ne suis pas responsable de la souffrance d’Arthur, vous en êtes responsable. Vous êtes ses parents et vous l’avez fait souffrir. Regarde toi Ronan, tu fais souffrir tout ce que tu touches, tout ceux que tu approches. Tu es un nuisible rien de plus. Et non, je n’ai rien de plus important, car les nuisibles sont à éliminer, ils sont à détruire. Et tout ce que tu as gagné en faisant tout ce que tu as fait, c’est mon envie de te détruire. Rien de plus. Tu n’en as pas fini avec moi Ronan. »

Sérieusement, oui. Il aurait voulu qu'elle puisse le comprendre. Il ne demandait pas le pardon, il savait qu'il ne récupérerait certainement jamais l'amitié de Fantine, mais il demandait à être compris. Il ne répondit rien, sachant que ça ne donnerait rien, encore une fois. Toutes leurs conversations menaient à la même chose. Ils se répétaient encore et encore. Ils évoquaient toujours les mêmes choses. Ils tournaient en rond. Il se justifiait, s'expliquait et s'énervait. Elle le menaçait, le mettait en garde et s'énervait. Il ne pouvait rien sortir de constructif d'une conversation comme celle-ci. Rien.

La preuve, ils en revenaient à la vie de Fantine. Ronan lui avait déjà expliqué qu'elle ne risquait rien. Les lois et les peines, c'était son métier. Il en avait vu des Supérieurs échappaient à la prison ou à la mort pour des crimes qui condamnaient directement un Inférieur. Les peines pour les Supérieurs étaient souvent basses, voire inexistantes lorsqu'ils ne récoltaient qu'un avertissement. Les peines pour les Inférieurs étaient plus aléatoires, selon l'humeur des Gouverneurs certainement. D'un jour à l'autre, pour un même crime, un Inférieur pouvait prendre deux mois de prison ou la peine de mort. Tout était trop aléatoire pour que Ronan prenne le moindre risque pour sa vie et celle de son épouse. Évidemment, il avait risqué la vie de cet Inférieur, celui dont Fantine s'était éprise. Mais lui, il ne le connaissait pas. Alors le choix était vite fait entre un Inférieur inconnu et son épouse. Et quoi que les autres en disaient, il savait que le choix était vite fait pour bon nombre des gens de cette Arche. « Il ne paye pas le prix de notre histoire, il paye le prix de la sienne. Il n'a pas respecté l'Arche et son règlement, il a été puni. Je n'ai pas dénoncé un innocent Fantine, il ne faudrait pas l'oublier ! » S'agaça-t-il. On lui reprochait d'avoir dénoncé quelqu'un. Tous semblaient oublier qu'il avait dénoncé un coupable, quelqu'un qui n'avait pas respecté l'une des principales lois de l'Arche. Fantine, même s'ils étaient amis, n'avait qu'à tenir sa langue et ne pas se confier, à un milicien, sur un délit qu'elle commettait. N'était-ce pas, après tout, ce qu'on lui demandait ? Dénoncer des crimes ? Il n'avait fait que son travail, quelque part. « Alors tu seras punie aussi pour ton crime, peut-être mérites-tu plus qu'un simple avertissement ? Si les tiens veulent te punir, je ne peux rien y faire, il ne fallait pas enfreindre les lois ! » pesta-t-il. Il en avait marre de se justifier, de se défendre et de s'excuser. Il devenait mauvais, souhaitait presque du mal à Fantine. Après tout, si les Supérieurs étaient incapables de protéger les leurs, ce n'était pas le problème de Ronan, mais celui de Fantine.

Contrairement à ce qu'elle affirmait, Ronan était sûr de lui. Fantine était d'une telle naïveté. Bien sûr qu'elle aurait été mal vue par les siens si elle avait défendu des Inférieurs. Le seul fait d'être amis faisait déjà qu'elle était mal vue par quelques-uns. Alors les défendre, les protéger ? Cela aurait certainement été pire que tout, pire même que de céder à l'attirance et aux sentiments avec un Inférieur, comme elle l'avait fait. « Discrète ? Tout se sait dans cette Arche Fantine. » lâcha-t-il accompagné d'un rire moqueur. La discrétion, vraiment ? Il n'y croyait pas. « Tu ne sais pas à qui tu peux faire confiance ! Tu le crois, peut-être, mais vous jouez tous un jeu, personne n'est sincère, personne ne dévoile toutes ses cartes. » Il en était presque certain. Chacun jouait son propre jeu et beaucoup aurait trouvé ça suspect si le couple s'en était sorti sans aucune difficulté. Et puis de toutes façons, comment Ronan aurait pu demander de l'aide à Fantine ? Lors de son interrogatoire, on ne lui proposait pas de voir qui bon lui semblait. Elle raisonnait mal et proposait des choses impossibles, voilà tout. Certainement parce qu'elle avait besoin de se rassurer, de se dire que le grand méchant de l'histoire, c'était Ronan et qu'elle, bien qu'après avoir enfreint les lois, n'était qu'une innocente victime.

La confiance n'était pas facile à acquérir pour les Inférieurs. Rares étaient ceux qui pouvaient l'espérer et l'obtenir. Les miliciens étaient certainement de ceux qui étaient le mieux placés pour cela, leur garantissant, quelque part, une meilleure sécurité. Pour cela il fallait travailler dur et longtemps, obéir aveuglément et ne jamais discuter les ordres. Désormais, tout ça était certainement fichu pour Ronan. Jamais plus il ne retrouverait la moindre confiance de la part des Supérieurs alors qu'elle, la gentille petite scientifique, n'aurait certainement aucun mal pour ça. Il lui suffisait de laisser le temps passer, de se montrer discrète et de respecter les lois. Et d'ici quelques mois, tout le monde aura oublié. Il ne répondit rien à son long discours. Ronan, dans le fond, se fichait bien désormais qu'elle retrouve leur confiance. Elle ne l'estimait plus, le haïssait alors pourquoi devrait-il continuer à s'inquiéter pour elle, simplement parce qu'il s'en voulait ? Dans un monde comme celui-ci, il était certainement préférable d'oublier tous ces sentiments. Il se surprenait même à penser qu'il devait désormais apprendre à la détester pour vivre tout ça plus facilement. Mais malheureusement, ce n'était pas simple à faire, oublier des années d'amitié.

Contrairement à ce qu'elle disait, elle connaissait les conditions des Inférieurs, mais ne pouvait pas les comprendre. Pour les comprendre, il fallait les vivre. Pour les vivres, il fallait faire partie des Inférieurs. Même elle devait pouvoir comprendre ça. On pouvait imaginer bien sûr, mais pas comprendre, c'était impossible. Impensable. Comment comprendre, sans les vivre ? C'était tellement facile à dire. Tellement. Surtout lorsque l'on vivait avec tous les privilèges des Supérieurs. Elle ne pouvait pas comprendre, même si elle aimait un Inférieur, c'était tout. Elle déversait sa haine, souhaitant le pire à Ronan, affirmant qu'il méritait sa condition. Il n'avait jamais prétendu le contraire. Et jusqu'à peu, il l'avait même toujours accepté sans broncher. « Tu vois, tu dis que tu n'es pas comme les autres Supérieurs, mais tu l'es. Tu l'es parce qu'il faut l'être pour souhaiter, même à son pire ennemi, cette vie. Tu te plains, tu joues l'innocente victime, mais tu ne vaux pas mieux que moi. Tu n'as de Supérieure que le rang. » Elle était aussi basse et mauvaise que pouvait l'être Ronan. Elle l'attaquait, lui souhaitait le pire. Même blessé, tout le monde n'en arriverait pas là alors elle ne valait pas mieux que celui qu'elle détestait désormais.

« Dis-toi que je t'ai dénoncé parce que je respecte les lois et que je l'aurai fait même si Emma n'était pas tombée enceinte, si ça peut te faire du bien de penser comme ça ! » Se moquait-il d'elle. Après tout, elle pouvait comprendre que son métier était de dénoncer, capable de comprendre qu'elle avait commis un délit puni par l'Arche. La seule chose qu'elle semblait ne pas pouvoir comprendre, c'était que Ronan ne la dénonce que pour sauver son épouse et se sauver lui-même. Pour son bien, elle n'avait qu'à occulter une partie de l'histoire, l'arranger à sa façon. Ronan avait toujours fait passer Emma avant tout le reste. Il l'aimait et selon lui, si, l'amour pouvait tout excuser, même le pire. S'il n'était pas prêt à tout par amour, pourquoi pouvait-il l'être ? Il était loyal envers l'Arche, mais si son choix devait se porter sur l'Arche ou sur son épouse, il ne prendrait pas le temps de réfléchir. Sa loyauté allait avant tout à sa famille. « Je ne suis pas d'accord avec toi, l'amour, c'est bien la seule chose qui puisse tout excuser ! Si on ne se bat pas pour la personne qu'on aime, pourquoi le faire alors ? » demanda-t-il simplement. Elle, elle n'était pas prête à tout pour celui qu'elle aimait, peut-être ne l'aimait-elle pas suffisamment ?

Après tout, elle ne l'aimait pas suffisamment pour faire un choix parmi les deux seules vraies options qu'elle avait : vivre loin de lui pour lui sauver la vie ou quitter les Supérieurs pour pouvoir l'aimer librement. Elle préférait conserver son confort, rester parmi les siens. Elle avait la possibilité de vivre librement cet amour, mais elle ne la choisissait pas, alors elle n'avait pas le droit de se plaindre. Ronan avait choisi lui, lorsqu'ils s'étaient retrouvés dans cette salle d'interrogatoire avec Emma. Il avait choisi de dénoncer son amie parce que c'était le seul choix qui s'offrait à lui à cet instant. « Tes parents ? Si tu quittes les Supérieurs, tu ne mets pas la vie de tes parents en danger ! En restant chez eux, tu mets celui de ton Inférieur en danger. Alors le choix devrait être rapidement fait, si c'est ça ton excuse... Tes parents, même en étant chez les Inférieurs, tu pourras continuer de les voir, de leur parler et de les aimer ! » cracha-t-il, ne comprenant pas le choix de Fantine. Bien sûr, ses parents pouvaient être déçus, mal jugés ensuite et peut-être mal regardés par les supérieurs, mais alors ? Etait-ce plus grave que de voir l'homme qu'elle aimait risquer sa vie ? Selon elle, une fois hors de cette Arche, tout serait différent. Naïve, encore une fois. « Pas par ma faute, non ! » s'agaça-t-il, serrant des poings, fatigué des accusations. « La tienne ! Tu as fait le choix de vivre cet amour et de prendre le risque d'en parler. » Elle ne devait pas oublier son degrés de responsabilités après tout.

Elle continuait. Affirmait qu'elle se fichait que Ronan ne respectait pas les lois, lui demandait juste d'assumer seul ses erreurs. Il préférait se taire, encore une fois, essayant de garder le peu de contrôle qu'il avait encore de lui. Tout ce qu'il lui demandait maintenant, c'était de partir, de le laisser tranquille. Après tout, pourquoi perdait-elle autant de temps avec cet homme qu'elle haïssait tant désormais ? Pourquoi ne pas simplement l'ignorer, le haïr et le détruire si elle le voulait, mais loin de lui, en silence ? Il était censé travailler, si on le surprenait à parler avec elle, il allait encore avoir le droit à des remontrances. Parce que bien sûr, elle, elle n'y serait pour rien, comme toujours. Ses mots étaient affreux, blessants. Elle cherchait uniquement à lui faire mal, lui faire comprendre la merde qu'il était devenu. Comme s'il ne le savait pas déjà lui-même. Ses poings se serraient de nouveau, ses mâchoires se contractaient, il essayait de l'ignorer, de ne pas s'énerver, mais c'était trop dur. Ses nerfs lâchaient. Encore. « Tu as sans doute raison, je fais souffrir ceux qui sont autour de moi. Tu as raison, tu as le droit de me détester et de me détruire. Mais je ne me laisserai pas faire Fantine et si tu touches à mon fils, si tu le menaces ou si tu fais quoi que ce soit qui puisse le mettre en danger, je me vengerai avant que tu ne puisses faire quoi que ce soit. Il souffre déjà suffisamment, il n'en mérite pas plus. Quelle femme, aussi malheureuse soit-elle, aussi blessée soit-elle, peut faire quoi que ce soit contre un petit garçon ? » Même indirectement, comment pouvait-elle accepter de blesser ou de faire souffrir Arthur ? Il était si jeune et innocent. « Je n'ai plus rien à perdre Fantine, ne me pousses pas à bout. » Lui dit-il plus comme un conseil qu'une menace.

« Je n’ai jamais dit qu’il était innocent. Je sais ce que nous avons fait, je sais que ce n’était pas autorisé par l’Arche et par son règlement. Je ne suis pas stupide Ronan. Simplement si tu n’avais pas fait d’erreur, si tu avais fait tout ce que l’Arche te demandait, nous n’en serions pas là. Donc c’est bel et bien à cause de ton erreur si nous en sommes ici. » Certes Fantine avait fait une erreur, l’homme qu’elle aimait également, ils avaient fait cette erreur à deux, mais sans l’intervention de Ronan, ils seraient toujours ensemble, à vivre leur histoire caché des autres, mais tout cela était désormais impossible. Ronan était le seul coupable de cette séparation, il pouvait dire tout ce qu’il fallait, ça n’y changerai rien, parce que c’était l’unique vérité. Ronan était un traître, il trahissait l’Arche, il trahissait ses amis, il ne savait faire que cela, blesser, mentir, tricher, dénoncer… Cet homme n’avait donc que des défauts ? Comment pouvait-on être aussi cruel ? Fantine ne comprenait pas et elle ne comprendrait sans doute jamais. « Espèce d’ordure. Tu as enfreint les lois, nous en sommes tous arrivé là parce que toi et ton épouse avait enfreint les lois, mais le pire dans tout cela, c’est que vous n’avez pas su rester discret. Non, on ne respecte pas les lois, on se fait prendre et après, on dénonce. Tu n’es pas à plaindre Ronan Crawley et je ne te permets pas de me parler comme ça. Sache simplement que si je n’avais plus rien à perdre tu serais déjà plus bas que terre Ronan, parce que si je n’avais plus rien à perdre, je t’aurais déjà fait subir toutes les pires horreurs qui puissent exister. Alors ne me cherche pas trop Ronan, parce qu’un jour tout cela va te retomber dessus. » Fantine se retenait, elle devait garder son calme, ne pas perdre pied. Une gifle aurait était la bienvenue, mais elle n’avait pas le droit de céder à la colère. L’arme de Ronan était bien visible et si Fantine n’avait plus rien à perdre elle l’aurait déjà saisie, elle l’aurait collé sur la tempe de Ronan et lui aurait fait vivre les pires horreurs avant de tirer.


« Avec des gens comme toi, en effet, tout se sait dans cette Arche. Mais heureusement, il y a encore de bonnes personnes, de véritables amis, des personnes en qui l’on peut vraiment avoir confiance, des personnes qui ne sont pas prête à vous trahir à la moindre occasion. Je sais à qui je peux faire confiance… En tous cas, désormais, je sais à qui je ne peux plus accorder cette confiance. Personne ne joue un jeu ici à part toi Ronan. Tu te fais ami avec d’autres personnes, tu les fais avouer leurs crimes sans qu’ils ne se doutent de rien. Pendant ce temps là monsieur profite bien de mener la petite vie qu’il souhaite puisqu’il sait qu’à la moindre occasion, il aura une carte à jouer, une personne à dénoncer. » Fantine pensait sincèrement cela, elle pensait sincèrement que Ronan était devenu ami avec elle juste pour lui faire avouer ses crimes. Ils n’avaient peut-être jamais réellement était son ami, peut-être qu’il avait toujours joué à un jeu, pour amadouer la naïve petite Fantine. Il savait qu’un jour où l’autre, il désobéirait au règlement et il savait qu’à cet instant, il aurait de quoi alléger sa peine ou celle de son épouse. Ronan n’avait pas de réels amis, Fantine devait le savoir mieux que n’importe qui, il avait déjà trahi l’un de ses amis et maintenant, il avait aussi trahi Fantine.

« Non Ronan, je ne suis pas comme les autres Supérieurs. Les autres Supérieurs t’aurait déjà mis une balle en pleine tête, t’aurait envoyé en prison, s’en serait pris à Emma ou à Arthur. Je n’ai rien fait de cela, je te souhaites juste de vivre la pire des vies, la vie d’une vermine, à près tout, tu vis au dessus de tes moyens Ronan, la place d’une vermine est parmi les vermines, parmi les insectes que l’on écrase, sans même s’en soucier, elle n’est pas ici, auprès d’être humains. Voilà tout ce qu’il reste de l’humanité, des gens comme toi. Quelle honte, j’ai honte de toi Ronan, j’ai honte de ce que tu as fait et de ce que tu feras encore, parce que tu n’es pas une personne bien Ronan. Tu es attiré par le mal, par la souffrance. Tu aimes faire souffrir les gens autour de toi. C’est ancré en toi, tu envoies tous les jours des gens en prison, tu en condamnes à la mort, brisant des vies, des familles et tu rentres chez toi sans te soucier de rien, comme si ta petite vie était totalement normal, alors ne vient pas me reprocher ce que je souhaite qu’il t’arrive. Entre nous, celui qui se comporte le plus comme certaines de ces pourritures de Supérieurs, c’est bien toi, sauf que toi, tu n’en as ni le rang, ni les privilèges, ni même la prestance. Toi, tu n’es rien, sans toi l’Arche fonctionnerait toujours à pareil, ta misérable vie ne change rien. » Fantine faisait de longs discours, elle cherchait à blesser Ronan au plus profond de son être. Tout était bon pour arriver à ses fins. Elle ne pensait pas forcément tout ce qu’elle disait, mais elle savait que même si Ronan ne le montrait pas tout cela le blessé un peu plus à chaque fois et en insistant le plus possible, il allait finir par craquer, Fantine allait réussir par l’atteindre en le détruisant comme il l’avait détruite.

« Justement non Ronan, tu ne respectes pas les lois. C’est bien là le problème. Tu ne respectes rien. » Il aurait fini par dénoncer Fantine à un moment ou à un autre, même s’il n’avait pas failli au règlement, ça Fantine en était presque certaine. Mais là Ronan n’avait pas respecter le règlement de l’Arche, n’avait pas respecter son amitié, ses engagements, ses promesses, il n’avait rien respecté et il semblait s’en ficher, il semblait ne pas s’en préoccuper, pour lui tout semblait si normal, mais ça ne l’était pas, loin de là. « Alors tu comprendras que je me batte par amour, que je souhaite me venger par amour. Je veux faire tout ce qui est en mon pouvoir pour venger l’homme que j’aime, notre relation, notre éloignement. Je serais capable de tout faire en ce qui te concerne pour pouvoir arriver à mes fins et par amour. » Si comme il le disait, l’amour était la seule chose qui excusait de se battre, il ne devait pas en vouloir à Fantine qui se battait par amour. Il ne devait pas lui en vouloir pour essayer de le récupérer à sa manière. Et pourquoi dénoncer deux personnes qui s’aimaient pour essayer de défendre l’amour, Fantine pouvait démanteler toutes ses excuses si elle souhaitait. Il était trop facile de tout mettre sur le dos de l’amour.

« Ai-je dis le contraire Ronan ? Ce n’est pas moi qui mettrais la vie de mes parents en danger, mais ces extrémistes de Supérieurs. Ils pourraient s’en prendre à mes parents pour me punir, pour faire comprendre aux membres de l’Arche qu’ils faut savoir respecter le règlement. Il est si facile d’accuser quelqu’un, même sans preuve ici. Tu devrais le savoir, tu sais ce que c’est de dénoncer des gens. Et en restant chez eux, je ne mets pas la vie de l’homme que j’aime en danger, au contraire, je reste loin de lui pour le protéger. Même si je rejoins les Inférieurs, les Supérieurs pourraient l’accuser de n’importe quoi pour le faire condamner. Crois-moi, je sais ce que je dis. Il est si facile de vous faire tomber quand on est là-haut. Et en rejoignant votre classe, je ne pourrais pas forcément revoir mes parents comme je le souhaite, simplement parce que je n’aurais plus autant d’occasion, je n’aurais plus la possibilité de le faire, sans compter qu’ils vont prendre ça pour une trahison et pour leur sécurité, mieux vaut pas. Après tout, je serais devenue une Inférieure, les Supérieurs n’ont pas le droit de leur parler, de les aimer… C’est pourtant bien connu. » Ronan ne comprenait pas pourquoi Fantine n’abandonnait pas tout pour l’homme qu’elle aimait, pourtant les raisons étaient simples à comprendre, elle ne voulait pas trahir ses parents, parce que contrairement aux autres elle n’aimait pas trahir et puis il y avait tous ces règlements qui faisaient que peut-être elle n’aurait plus le droit de les voir, de leur parler, de partager une vie avec eux. « J’ai pris le risque de parler à une personne que je croyais être mon ami Ronan. Une personne en qui je croyais pouvoir avoir confiance. Une personne que j’appréciais comme un membre de ma famille. Parce que vous étiez pour moi tous les trois comme une seconde famille… Et je regrette tellement. » Elle regrettait les sentiments qu’elle avait eus pour eux, pour lui, elle l’imaginait comme une sorte de frère, un ami très proche, un confident… Elle s’était tellement trompée sur eux, sur lui. Elle regrettait la confiance qu’elle avait pu lui accorder autrefois, elle ne referait plus jamais cette erreur, c’était certain.

« Je ne toucherais pas à Arthur… Je n’en ai pas l’intention. C’est toi que je veux faire souffrir, toi que je veux détruire, pas lui, il n’a rien à voir avec tout cela, ce n’est qu’un enfant. Ne te cache pas derrière lui pour essayer de te protéger Ronan. Il souffre à cause de vous, je n’ai rien à voir là-dedans, si je souhaite me venger, c’est uniquement de ta faute. Je ne suis pas aussi cruelle que toi Ronan, pas aussi insensée, je pense aux autres, j’ai de l’empathie, plus pour tout le monde, mais j’en ai. Je ne souhaite aucun mal à Arthur, mais je ne peux pas en dire la même chose pour toi. » Fantine n’était pas un monstre, elle ne souhaitait pas faire de mal à Arthur, jamais elle ne pourrait le faire. Il était innocent, encore jeune, il n’avait rien à voir avec cela, rien à voir avec les erreurs de ses parents, avec leurs trahisons… « Alors dis-toi que je n’ai plus rien à perdre non plus Ronan. » Elle était à bout, et le fil de la conversation n’arrangeait rien, elle se fichait désormais de ce qu’il pouvait lui arriver, dans ces cas-là, tout le monde est prêt à tout, même au pire et à l’impensable.

Si Fantine n'avait pas clairement clamé l'innocence de l'Inférieur, elle l'avait sous-entendu. Ronan les avait dénoncé, c'était vrai. Sauf que s'il avait pu les dénoncer, c'était parce qu'ils n'avaient pas respecté une règle de l'Arche. En tant que milicien, son travail était justement de dénoncer ce genre de crimes. Il ne répondit rien parce que la conversation était veine. S'il n'avait pas eu ces problèmes avec Emma, le poussant à la dénoncer, ne l'aurait-il jamais fait ? Il était fidèle à l'Arche, alors peut-être qu'un jour... Il n'en savait rien. Personne ne pouvait le savoir. Fantine avait le coeur brisé alors elle n'entendrait rien, elle n'écoutait rien. Elle avait uniquement besoin de crier sa peine et de se faire entendre, peut-être pour aller mieux ?

Fantine se répétait, encore et encore. Elle l'insultait. Elle le menaçait. En quelques minutes, c'en était presque devenu une habitude. « Je n'ai pas enfreint les lois. » essaya-t-il de dire clairement. Lui, officiellement, il n'avait rien fait. Même si Fantine ne cessait de dire le contraire. Officiellement, il devait garder cette couverture : il était innocent. « T'ai-je demandé de me plaindre ? Je veux juste que tu essayes de faire fonctionner ton cerveau pour comprendre ce qui s'est passé. » il s'agaçait et il devenait difficile de se contrôler. Alors il devenait blessant et ne contrôlait presque plus son agacement. « Fais moi subir ce que tu veux, je m'en moque Fantine, ma vie est déjà foutue ! » Le Gouvernement, les miliciens... Il ne serait sans doute plus jamais tranquille. Alors qu'elle ait encore quelque chose à perdre ou non, elle pouvait bien lui faire subir tout ce qu'elle voulait, du moment où elle laissait sa famille tranquille. Elle pouvait le punir tant qu'elle voulait, mais il ne la laisserait pas faire si elle s'en prenait, d'une façon ou d'une autre, à Arthur ou à Emma. Parce que sur cette Arche, il n'avait qu'eux et il les protégerait jusqu'au bout contre Fantine et contre tous les autres.

Par la suite, il se mit à rire nerveusement, croyait-elle réellement ce qu'elle disait ? « Tout le monde joue un jeu ici Fantine, ouvre donc les yeux. » Dans cette Arche, tout le monde y était obligé pour éviter de mourir. Tout le monde était obligé d'adapter sa façon de penser, d'agir aux bons désirs des Gouverneurs. Ce n'était pourtant un secret pour personne, sauf que personne ne le disait clairement. « Tu t'imagines que j'ai vraiment perdu du temps à devenir ton ami pour te trahir ensuite ? Tu entends un peu les conneries que tu sors ? Peu importe les amis que j'ai, peu importe les crimes qu'ils ont commis... Si un jour, je suis accusé d'autre chose, même si je dénonce tout le monde, tu sais très bien que je ne m'en sortirais pas. » Son idée était ridicule, mais il pouvait la comprendre. Il pouvait comprendre qu'elle pense ça, il n'allait juste pas lui dire. S'il avait pu, il ne l'aurait pas trahi. Il lui avait déjà dit et répéter, mais elle était trop en colère pour y croire, pour le comprendre. Il l'avait fait, il s'en était sorti. Mais si un jour une autre accusation venait à être portée contre lui, il ne s'en sortirait plus. L'Arche pouvait être clémente une fois, pas deux.

Et les menaces reprirent de plus belles. Ronan soupirait, encore et encore. S'il le pouvait, il serait parti depuis longtemps. « C'est déjà la vie que j'ai, alors observe là de loin et réjouis-toi du spectacle. » Si ça pouvait la consoler de voir la vie détruite de Ronan. « Tu crois vraiment que je fais souffrir les gens par plaisir ? Je fais ce qu'on me demande de faire Fantine ! Tu crois vraiment que j'ai le choix chaque jour ? » Il n'avait pas le choix la plupart du temps, même s'il lui arrivait de faire souffrir des gens qu'il aimait sans le vouloir, son travail n'avait rien à voir là-dedans. « Tu vois, tu parles comme les tiens, ceux à qui tu ne veux pas ressembler ! La colère te fait réagir comme eux, tu es comme eux, au plus profond de toi, tu es eux. » Elle avait été élevée pour être comme eux, pour être eux alors elle réagissait comme eux, quoi qu'elle dise, quoi qu'elle fasse pour se rassurer. « Tu as raison, l'humanité est réduite à des gens comme nous... Autant dire qu'elle risque de ne pas survivre longtemps ! » Tant à cause de gens comme Ronan que de gens comme Fantine. Ils ne savaient que se venger et se battre, ils étaient incapables de pardon.

« Je respecte les lois, je n'ai rien fait ! » Insista-t-il. Il devait réussir à lui faire entrer cette idée en tête pour se protéger. Pour protéger sa famille. « Tu ne fais rien par amour Fantine, mais par vengeance ! » la différence était importante. Elle ne parlait que de ça, de vengeance, de haine et de menaces. C'était la principale de ses motivations, elle devait arrêter de se voiler la face. Elle était en colère d'avoir perdu face à l'Inférieur. « Moi je me suis battue pour un amour autorisé par l'Arche, pour ma femme ! Toi tu bats contre quelque chose d'interdit ! » Encore une fois la différence était de taille. Lui il se battait pour la femme qu'il aimait, pour son mariage et pour son fils. Elle, elle se battait contre l'impossible. Lui avait sans doute plus de raisons de se battre qu'elle. Il ne luttait pas contre le vent. « Tu ressens le pouvoir que tu as sur nous, les Inférieurs ? » Dit-il, plein de haine. Elle ne cessait de le répéter, de mettre en avant sa place et son pouvoir. Ils pouvaient faire accuser n'importe qui avec une telle facilité. « Tu réussissais bien à nous voir nous, alors pourquoi en tant qu'Inférieure tu ne pourrais plus voir tes parents ? Tu ne vivrais simplement plus chez eux, c'est tout ! Avoue-le Fantine, avoue que tu as peur de perdre tes privilèges ! Dis que tu as peur de vivre comme nous ! Dis que tu n'aimes pas assez ton Inférieur pour ça ! » Il la cherchait parce qu'il n'en pouvait plus, il voulait la pousser à partir, à arrêter cette discussion qui ne menait à rien. « Si tes parents t'aiment, ils comprendront, non ? » Non, ils ne comprendraient sans doute pas parce qu'ils étaient comme tous les autres, persuadés que les Inférieurs étaient des moins que rien.

Il ne releva pas la suite, il en avait marre de justifier la confiance qu'elle lui avait accordé. Ils ne seraient, de toute façon, jamais d'accord sur ça, alors autant oublier. Ils en étaient désormais arrivés à se mettre mutuellement en garde. « Je ne me protège pas, je protège mon fils ! » Lui, il ne pouvait pas se protéger, pas contre la colère de Fantine, pas contre les Supérieurs. « Je refuse que tu t'en sortes la conscience tranquille Fantine ! Si tu me fais souffrir, tu fais forcément souffrir mon fils. Ne l'oublie jamais, n'oublie jamais ça lorsque tu auras gagné et que tu m'auras détruit. » Parce que ce jour arriverait, il le savait. « Alors, nous n'avons plus rien à perdre tous les deux et personne n'en ressortira indemne ! » Parce qu'un combat entre deux humains n'ayant plus rien à perdre ne donnerait rien d'autres que de la souffrance. Il espérait que cette conclusion suffirait à la faire partir une bonne fois pour toutes. Parce qu'il sentait que ses nerfs ne tiendraient plus longtemps. Il allait finir par faire une bêtise si elle ne lui foutait pas la paix, il ne se contrôlait plus et ne pouvait plus retenir sa colère.