Convocation + Cassiopée

Sybil était installée à son bureau, triant quelques papiers qui traînaient ici et là. La place de directrice demandait beaucoup plus de travail qu'elle ne l'imaginait. Bien sûr, elle ne rêvait pas de se tourner les pouces pendant que tous les autres faisaient tourner l'Arche, mais elle n'imaginait avoir tant de choses à faire. Elle sursauta, perdue dans son rangement, lorsque quelqu'un frappa à la porte. « Entrez ! » dit-elle fort et clairement. Elle vit alors la porte s'ouvrir pour laisser un enfant, de neuf ou dix ans, entrer. C'était un Supérieur dont elle connaissait parfaitement les parents. Sybil le laissa entrer, lui proposa de s'asseoir face à elle et lui demanda la raison de sa visite. Sans attendre, le garçon expliqua qu'il avait eu des problèmes avec une professeure. Il lui expliqua que la professeure lui avait crié dessus, osant lui reprocher son manque de travail et d'attention en cours. Il continua ainsi deux bonnes minutes, expliquant tout ce que cette Inférieure avait pu dire. Sybil se contenta de répondre qu'elle réglerait ce problème rapidement, qu'il n'avait aucun soucis à se faire. La directrice supportait assez mal ces contacts obligatoires avec les Inférieurs, en permanence, et encore moins lorsque ces derniers se permettaient de s'en prendre à un élève Supérieur. Bien sûr, ils devaient faire régner l'ordre dans leur classe, mais elle imaginait mal ce petit Supérieur dérangeait l'ordre et le calme.

Elle sortit alors du bureau en même temps que le garçon, demandant au passage à sa secrétaire de faire venir la professeur en question, Cassiopée Harper. Puis Sybil était retournée s'installer à sa place, attendant patiemment l'arrivée de cette dernière. Dix minutes plus tard, on frappait de nouveau à son bureau. « Entrez ! » Lançait-elle froidement, toujours assise, les mains croisées sur son bureau. « Madame Harper, entrez et asseyez-vous. Je suppose que vous connaissez la raison pour laquelle je vous ai convoqué ? » Froide et directe, comme toujours, elle n'avait pas une minute à perdre avec cette Inférieure.

L’arrogance des Supérieurs était visible même chez les enfants. Cassiopée aimait son travail, mais elle n’en pouvait plus de faire face aux inégalités au sein même de sa propre salle de classe. Pourquoi les Supérieurs se sentaient toujours obligé de se montrer aussi… Supérieur ? Un enfant était un enfant, rien de plus, rien de moins. Pourquoi est-ce qu’ils prenaient part aux inégalités aussi jeunes ? Ne pouvaient-ils pas se soucier de leur scolarité, de leurs amusements et de leurs problèmes d’enfants ? Pourquoi penser que parce qu’ils appartenaient à cette classe, ils étaient intouchables ? Pourquoi penser que travailler n’était pas utile ? Cassiopée se devait une fois de plus de faire la morale à cet enfant Supérieur, riant parce qu’il se fichait bien de ce qu’était en train de raconter l’Inférieur qui lui servait d’enseignante. Le ton commençait à monter et le calme était de retour en classe. Cassy devait citer que le travail à l’école était un début pour faire fonctionner l’Arche ou notre prochaine vie sur la nouvelle Terre, concernant ces enfants. Et tout un tas d’autres choses qui signifiait à peu près la même chose. Un petit discours qu’elle avait appris par cœur depuis son plus jeune âge, des phrases qu’elle entendait souvent à l’orphelinat, mais qui aujourd’hui n’avait plus aucune signification pour elle. Juste un tas de mensonge pour forcer les Inférieurs à servir les Supérieurs.

À la fin de son cours, Cassy se sentait soulagée. Enfin… Elle allait enfin pouvoir rentrer chez elle, auprès de son époux. Elle ne supportait plus le fait de devoir jouer la comédie face aux Supérieurs, pourtant, elle n’en avait pas le choix, pour sa sécurité et celle de son mari, elle n’avait pas le choix. Au moment de partir, la jeune professeure fut interpellée par la secrétaire. Elle était appelée dans le bureau de la directrice. Un faux sourire sur les lèvres, elle avait fait savoir qu’elle arrivait tout de suite. Qu’est-ce qu’elle lui voulait ? Cette femme était hautaine et détestable, une peste sans cœur, dévouait à l’Arche et à toutes ses horreurs. Cassy n’avait pas d’autre choix que d’aller la voir…malheureusement. Une fois à sa porte, elle avait frappé avant que la directrice ne lui dise d’entrer. Elle allait devoir supporter son visage, ses paroles, sa soit disant supériorité un moment. « Je dois bien avouer que non, je ne sais pas pourquoi vous m’avez faite venir. » Elle disait vrai, elle n’en savait rien, mais tout était toujours bon pour enfoncer un peu plus un Inférieur, un petit plaisir chez les Supérieurs.

Sybil n'avait qu'une hâte, remettre cette Inférieure à sa place et en finir avec cette histoire. Il était hors de question d'y passer des heures, hors de question d'attendre une éternité cette femme et hors de question de laisser passer ça. Attendre cette Inférieure lui semblait être une éternité. Ne pouvait-elle pas se dépêcher ? Qu'avait-elle de plus important à faire que d'obéir à un ordre de sa supérieure et de se rendre dans son bureau dans la minute. Bien sûr, elle devait traverser quelques couloirs, mais quelle importance ? Sybil avait demandé à la voir immédiatement et elle n'aimait pas attendre.

Enfin quelqu'un frappa à la porte. Sans perdre une seconde, Sybil ordonna d'entrer et de s'asseoir. Encore une fois, il n'y avait pas une minute à perdre pour régler ce problème. Sybil supposait même que l'Inférieure connaissait la raison de sa présence ici, mais il semblait bien que non, en réalité. Quelle audace ! S'en prendre à un enfant, un Supérieur, et ne pas savoir pourquoi elle avait été convoquée ! Cette fille se moquait d'elle, certainement. « Un de vos élèves, un Supérieur, est venu se plaindre de votre comportement aujourd'hui ! Vous avez haussé le ton sur lui, pourquoi ? » Ce n'était pas une question, ce n'était pas une supposition. Sybil ne remettait en aucun cas en doute la parole de cet enfant. Cassiopée était coupable ! La question portait sur les raisons qui l'avaient poussé à faire ça, les excuses qu'elle pouvait donner face à la directrice pour excuser et justifier son comportement.

Cassiopée n’allait pas encore pouvoir rentrer chez elle. Elle n’attend que cela depuis le début de matinée, mais elle allait devoir attendre encore un peu. Cassy était convoquée dans le bureau de la directrice. Que lui voulait cette femme ? Sans trop perdre de temps Cassiopée s’était rendu dans son bureau. D’après la directrice, Cassiopée devait savoir pourquoi elle avait été convoquée et très honnêtement elle n’en savait rien. Elle n’avait pourtant rien fait, elle tentait toujours de jouer son rôle de membre parfait de l’Arche et elle avait l’impression d’y arriver. Alors qu’avait-elle fait ? « Oh, je vois... » Le petit Supérieur était venu se plaindre de la méchante Inférieur qui lui a fait la leçon, quel ingrat. « Si j’ai haussé le ton, je m’en excuse. Je ne voulais pas cela. Je voulais simplement lui faire comprendre qu’il était très important d’être assidu, de travailler du mieux que l’on pouvait pour le bien de l’Arche et de ses habitants. » Des faux sourires et des mots qui semblaient tellement faux dans son esprit. Elle se fichait bien de l’Arche et de son bien-être désormais. Tout cela était loin derrière elle. L’Arche lui avait volé tellement de choses et avait presque failli lui voler la vie il y a peu. « Il est important de faire comprendre à chacun de ses enfants qu’il est important de tout faire pour que l’Arche aille le mieux possible, pour qu’une fois sur la nouvelle Terre, tout le monde puisse vivre au mieux. Il y a un très grand enjeu, ces enfants sont l’avenir de l’humanité, ils doivent comprendre l’importance des choses. » Encore un peu plus de mots pour se justifier, mais qui en vérité ne voulait absolument plus rien dire. Cassiopée n’avait plus aucune fois en l’Arche, en ses habitants, en tout ce qui pouvait d’ailleurs concerner ce monde.

Sybil était agacée par cette situation, contrainte de se retrouver face à une Inférieure pour lui faire la morale. Quand ces gens comprendraient-ils la place qu'était la leur ? Et quand décideraient-ils d'y rester, sans broncher ? L'Inférieure semblait ne pas comprendre la raison de sa visite, ou du moins simulait de ne pas le savoir. Sybil, froide, expliqua donc rapidement la situation. L'Inférieure souriait, se justifiait. La Supérieure écoutait, les mains croisées, agacée. « Vous devriez vous contrôler Cassiopée, et ne pas recommencer, peu importe vos raisons ! Sans quoi, vous recevriez un avertissement ! » Si elle ne voulait pas perdre son travail et se retrouver inutile à l'Arche, elle devait se méfier. Sybil ne lui ferait aucun cadeau. « Il est, en effet, important de faire comprendre à nos enfants l'importance du travail pour l'Arche, mais pensez-vous que ce petit Supérieur l'ignore ? » Autant clairement dire qu'à ses yeux les enfants des Supérieurs étaient bien plus précieux, plus doués, plus intelligents que les autres. « Vous avez raison, ces enfants sont notre avenir. Ils sont l'avenir de l'humanité et notre survie dépendra d'eux un jour. Si ce jeune garçon a été distrait, peut-être était-ce à cause de ses camarades Inférieurs ? Peut-être que ce sont eux que vous devriez remettre à leur place, non ? Et si vous avez le moindre problème avec un Supérieur, expliquez et ne criez pas ! » ajouta-t-elle, toujours aussi froide, tout en fixant l'Inférieure. Sybil faisait clairement une distinction entre les enfants des deux classes. Si cela ne tenait qu'à elle, les enfants ne grandiraient de toutes façons pas ensemble. Elle jugeait qu'ils étaient différents et qu'ils n'avaient rien à faire ensemble, qu'ils ne devraient se fréquenter que dans le cadre du travail. « Demain, dès le début de votre cours, vous vous excuserez auprès de cet enfant. » Une forme d'humiliation, clairement, pour remettre cette fille à sa place.

« Il semblait bien dire que le travail ne servait à rien, qu’il ne menait à rien. J’ai simplement voulu lui faire comprendre qu’il se trompait, voilà tout. » Non, justement, il ne savait rien de tout cela. Il perturbait sans cesse le cours de Cassiopée. Il se fichait du travail qu’il pouvait… qu’il devait fournir. « Je n’ai pas crié, simplement, j’ai pris une voix plus autoritaire pour lui expliquer les choses comme il se devait. Pour ce qui est de ces camarades Inférieurs, ils ne posent aucun problème, ils semblent avoir compris l’importance du travail. Seul cet élève perturbe les cours, ne semble pas s’intéresser et il ne traîne pas avec ses camarades Inférieurs, ils ne peuvent donc l’influencer que ce soit négativement ou positivement, croyez-moi. Et n’ayez crainte si l’un des élèves Inférieurs posait problème, je réagirais de la même façon. » Il était important pour Cassiopée de préciser qu’elle n’avait pas crié, mais s’était simplement montrée autoritaire. Elle ne manquait pas non plus de faire remarquer à sa supérieure que les Inférieurs de sa classe étaient calmes, attentifs, assidus eux, contrairement au Supérieur qui n’avait rien de plus que les autres, mises à part son rang. Cassy tenait également à préciser de façon subtile que les Inférieurs pouvaient aussi avoir une bonne influence sur leurs camarades, c’était totalement idiot de penser le contraire. Puis pour finir, Cassiopée voulait préciser qu’elle traitait ses élèves de la même façon. Pas de rang au sein de sa classe, un enfant était un enfant, un élève était un élève, elle ne voulait pas faire de distinction, ils devaient, pour elle, tous être logés à la même enseigne. Cassiopée restait correcte, souriante, montrant à sa supérieure qu’elle avait compris. Toutes ces accusations, ses réflexions étaient subtiles, elle n’était pas là pour montrer à Sybil la haine, les sentiments.. que ressentait Cassy, même si elle ressentait bien tout cela et que dans le fond, c’était bien ce qu’elle voulait lui dire, malheureusement, elle ne pouvait se le permettre. « Bien évidemment, je m’excuserais. » Même pas en rêve. Cassiopée ne se rabaisserait pas auprès de cet insolent. Sybil cherchait simplement à humilier Cassiopée. Après avoir jeté les gouverneurs en prison, Cassiopée se ferait un malin plaisir d’y jeter Sybil, lui montrant ainsi qui détenait réellement le pouvoir ici.

Sybil était agacée d'entendre l'Inférieure parler ainsi du petit garçon qui était venue se plaindre. Elle l'imaginait assez mal comme Cassiopée en parlait. Cette dernière essayait certainement de se protéger en mentant, typique des gens comme elle. « Vous avez certainement mal compris. » se contenta-t-elle d'avancer, froide. La suite fut plus surprenante encore. L'inférieure n'avait vraiment honte de rien. Le Supérieur aurait menti alors, en disant qu'elle avait crié ? Elle n'y croyait pas une seule seconde. Quant à défendre autant les Inférieurs, venant d'une Inférieure, comme c'était drôle ! Bien sûr qu'elle défendait les siens, même s'ils étaient à l'origine du bazar dans sa classe. « Je vous conseille d'assumer ce que vous avez fait, je pourrais me montrer plus sévère si ce n'est pas le cas. » autant être claire tout de suite. Elle ne supportait pas de l'entendre dire qu'elle n'avait pas crié alors qu'elle avait le témoignage de l'enfant. « Je pense que vous vous en prenez à cet enfant uniquement parce qu'il est d'un rang plus élevé que le vôtre et que ça ne vous plaît pas, je me trompe ? » dit-elle, les bras toujours croisés devant elle. « Quant aux Inférieurs, je doute qu'ils puissent être aussi sérieux et attentifs que les Supérieurs, mais vous n'êtes certainement pas capable de le voir. » Autre attaque, sans aucune gêne.

Puisque l'Inférieure semblait être d'humeur à défendre les siens et à mentir, Sybil était d'humeur à lui montrer qui elle était et ce qu'elle méritait. Elle exigeait alors des excuses de la part de la professeure dès le lendemain. « Evidemment, je viendrais dans votre classe pour les entendre et juger de si elles sont suffisantes. » On ne lui faisait pas à elle et elle préférait s'assurer qu'elle obéirait.

« Oui, vous vous trompez. Je ne m’en prends pas du tout à cet enfant parce qu’il est Supérieur. J’ai simplement fait la leçon à un enfant qui ne respectait pas le règlement, c’est-à-dire travailler. Et détrompez vous, je suis bien capable de voir la capacité de chacun de mes élèves. Qu’ils soient Inférieur ou Supérieur n’y change rien. Beaucoup d’Inférieurs sont calmes et attentifs et des Supérieurs ne le sont pas. » Cassiopée restait calme, il n’y avait pas un mot plus haut que l’autre, mais elle ne supportait pas ce qu’était en train de dire la directrice. Sybil n’avait pas peur de dire que les Inférieurs n’étaient pas de bonnes personnes, alors que les Supérieurs ne pouvaient que l’être. Tout cela était totalement absurde. Cassiopée se ferait un grand plaisir de lui montrer ce qu’était la vie en prison, et de lui montrer à quel point les Inférieurs pouvaient se montrer intelligent, plus que son rang en tous cas, qu’ils pouvaient être subtils et qu’ils pouvaient diriger et mieux encore que les Supérieurs.

Voilà que Cassiopée devait s’excuser maintenant et puis quoi encore ? Allait-elle devoir s’agenouiller et implorer le pardon de ce stupide Supérieur qui se croyait intouchable, car surprotégé du dragon Supérieur qui lui servait de directrice. « Je n’en doutais pas. Je m’excuserais en votre présence et vous verrez que mes excuses seront des plus sincères et des plus suffisantes. » Un faux sourire sur les lèvres pour jouer la parfaite petite employée. Elle voulait rabaisser Cassiopée, aucun problème Cassy allait faire ses excuses, sans en penser un seul mot bien évidemment. Elle savait qu’elle allait elle aussi avoir le temps de rabaisser cette Supérieure et de l’humilier comme elle était en train de le faire, comme elle l’avait d’ailleurs toujours fait avec les Inférieurs et ceux qui ne respectaient pas le gouvernement, l’Arche et ses lois comme elle le voulait. « Puis-je y aller désormais ou avait vous encore d’autre chose à me dire ? » A lui reprocher, à lui hurler dessus… serait sans doute plus exact, mais elle devait se retenir et garder son calme. En tous cas, elle n’avait qu’une seule envie, rentrer chez elle et oublier cette horrible journée supplémentaire, comme elle essayait de le faire difficilement depuis des mois maintenant.

Sybil n'en revenait pas. L'Inférieure était-elle réellement en train de la contredire et de lui tenir tête ? Elle croyait halluciner ! Pour qui se prenait-elle, celle-là ? Ne pouvait-elle pas se contenter d'écouter et d'obéir, sans chercher, à tout prix, à protester ? Cassiopée n'était-elle pas censée être une membre fidèle et dévouée à l'Arche ? C'était en tout cas ce qu'on lui disait sans cesse. « Cassiopée, je vous conseille d'arrêter tout ceci immédiatement ! » Sybil gardait presque toujours son calme, et aujourd'hui cela ne faisait pas exception à la règle. Froide, mais complétement calme, elle reprit : « Ce Supérieur m'a juré qu'il écoutait et que vous lui avez hurlé dessus sans raison ! C'est un enfant, je l'imagine mal utiliser le mensonge pour vous nuire, quel intérêt pour lui ? » En réalité, il y avait tellement de raisons possibles à ça et Sybil le savait parfaitement, sauf qu'elle ne l'admettrait pas. « Quant aux comportements de vos Inférieurs, ne me faites pas rire s'il vous plait ! Nous savons toutes les deux que ces enfants n'ont aucune conscience de la chance qu'ils ont d'être ici et de l'importance du travail sur cette Arche ! » De ça, elle en était persuadée. Principalement à cause de tout ce qu'on lui avait mis dans la tête depuis sa naissance.

Puisque l'Inférieure voulait jouer, Sybil allait jouer. Elle l'obligeait à présenter des excuses à l'enfant, devant toute la classe et en sa présence. C'était clairement et simplement une humiliation publique pour la professeure. « Je l'espère, Cassiopée ! » Elle espérait voir des excuses sincères. Les Inférieurs devaient rester à leur place, il ne fallait pas l'oublier. « Vous semblez pressée de partir, avez-vous d'autre chose à vous reprocher ? » Demanda la directrice, ne souhaitant aucunement donner satisfaction à la professeur. « Vous partirez quand je vous le dirai, alors inutile de le demander ! »

Cassiopée ne répondait rien. Elle ne voulait pas non plus avoir des problèmes, elle devait garder son image de parfaite petite citoyenne de l’Arche. Pourtant, ce petit jeu l’amusait bien, celui de remettre discrètement la directrice en place, lui faire comprendre qu’elle n’était pas toute puissante et elle allait bien l’apprendre un jour ou l’autre, quand elle allait se retrouver derrière les barreaux, démunies de tous pouvoirs. Cassiopée rêvait de ce jour où à son tour elle allait pouvoir humilier la vipère qui servait de directrice. « Je ne sais pas . Nous nous sommes sans doute mal compris madame. Après tout, vous avez sans doute raison, il n’a pas pu faire cela, bien évidemment. » Cassiopée faisait mine d’être sincère alors qu’elle ne l’était absolument pas, cette phrase était purement ironique, elle n’en pensait pas un mot et si elle l’avait fait avec le bon ton, la directrice aurait compris que Cassiopée était en train de se moquer d’elle, tout simplement. Comment penser qu’il y avait une réelle différence entre les Inférieurs et les Supérieurs, surtout à cet âge-là, comment ne pas prendre conscience de toutes ces injustices, de toutes ces stupidités ? Elle était donc incapable de penser par elle-même, incapable de sortir de tout ce qu’elle avait appris autrefois ? Cassy avait réussi elle, encore une preuve de l’intelligence et de la force de Cassiopée alors que Sybil n’était qu’un mouton conditionné aux règles de l’Arche et elle obéissait bêtement, agissait bêtement ne sachant pas avoir ses propres pensées, ses propres opinions, voilà ce que les derniers humains étaient, affligeant. Voilà pourquoi, en partie, la résistance s’était formée, pour éviter de laisser le pouvoir entre les mains de ce genre de personne. « Je pense que si. Peut-être en ont-ils moins conscience que les Supérieurs en revanche... » Simplement parce qu’ils savent qu’ils vont devoir travailler durement pour une vie de misère, pour servir des gens qui ne les estiment pas, qui se fichent de leur sort, qui ne les prennent que pour des moins-que-rien, des cibles faciles, des personnes là pour que les Supérieurs puissent se défouler, puissent leur déléguer les tâches les plus ingrates. Dans ces cas-là, en effet, ils ne comprennent pas l’importance du travail.

Cassiopée devait faire des excuses et devant la directrice en plus de cela, quelle humiliation, mais ça avait peu d’importance, elle avait l’habitude de jouer la comédie pour satisfaire les petits Supérieurs, alors ça ne changeait rien. « Je n’ai absolument rien à me reprocher, j’ai simplement envie de rentrer chez moi, mais si vous désirez que je reste, alors je reste. » Quelle peste ! Cassiopée n’avait en effet rien à se reprocher, même pas le fait d’avoir soit disant crié sur un élève. Elle avait envie de rentrer chez elle, de ne plus voir cette horrible femme qui lui faisait face, qui pouvait lui reprocher cela ? Personne. Si Sybil aimait tant voir Cassiopée, elle n’avait qu’à le dire clairement, elle resterait dans ce cas, pas besoin de trouver des alternatives pour cela. Cassiopée attendait donc debout face à la directrice, attendant qu’elle ne lui sorte une de ses horribles phrases, de toute façon, elle n’avait plus que cela à faire.

Sybil ne supportait que très peu la présence des Inférieurs, alors être obligée de remettre celle-ci en place en permanence l'agaçait profondément. « Très bien, Cassiopée ! » affirma-t-elle lorsque cette dernière admit enfin son erreur, innocentant complètement le Supérieur. « A l'avenir, je vous conseille d'être plus prudente lorsque vous vous en prenez à un élève ! Une telle erreur ne pourra pas passer deux fois, vous comprendrez, sans doute ? » Une menace à peine voilée. Si elle venait à s'en prendre de nouveau à un Supérieur qui avait l'idée de se plaindre, elle ne s'en sortira pas juste avec quelques remontrances et des excuses. Sybil pouvait tout à fait demander à ce que la professeure soit renvoyée. Se retrouver sans emploi sur l'Arche étant puni par la loi, elle s'en sortirait véritablement mal.

La Supérieure ne releva pas la suite, concernant l'importance du travail. Il était sans doute inutile d'en discuter encore, l'Inférieure semblait avoir plus ou moins compris. Sybil préférait surtout insister sur les excuses que la professeure devraient présenter à l'enfant, dès le lendemain et en sa présence. Sybil supportait mal qu'on aille enfreindre une règle ou qu'on lui tienne tête, alors elle le faisait payer à Cassiopée en l'humiliant devant sa classe.

La professeure semblait pressée et ça ne plaisait pas à Sybil. Alors même si parler avec elle lui était pénible, elle allait la retenir. « Asseyez-vous Cassiopée, nous allons discuter un peu de votre classe ! » lança la Supérieure pour retenir l'Inférieure qui ne voulait que rentrer chez elle. « Parlez-moi un peu de votre classe, de vos élèves, de votre travail ! » Un sourire clair sur les lèvres pour lui montrer clairement qu'elle avait décidé de l'embêter.

" Bien évidemment madame, ça ne se reproduira pas." Elle n'était pas stupide, elle savait que les vipères dans son genre détruisait ce qu'elles n'aimaient pas et elle n'aimait pas les Inférieurs et donc Cassy donc elle allait tout faire pour la détruire, la nuire, l'humilier... Cassiopée devait être prudente, malgré ses envies d'hurler au monde qu'elle en avait plus que ras le bol de ce genre de comportement. Elle voulait que les choses changent, mais elle n'avait pas le droit de se trahir, elle devait rester discrète et jouer le parfait petit toutou de l'Arche, soumise et incapable d'avoir ses propres idées. Cassiopée ne pouvait tout de même pas se retenir de défendre ses élèves Inférieurs et par la même occasion tous les Inférieurs de l'Arche qui se tuaient au travail pour satisfaire des personnes détestables comme Sybil, juste parce qu'elles appartenaient à un rang supérieur, alors qu'ils n'avaient rien à envier, ils étaient tous si détestables, si désagréables...

Cassiopée voulait partir, mais la directrice ne le voulait pas, elle avait envie de s'amuser un peu en embêtant une Inférieur, alors Cassy allait répondre à ce désir, elle allait avoir tout le temps qu'elle voulait pour se venger plus tard. "Bien." Cassy s'était assise face à la directrice, comme demandé, elle obéissait, comme le souhaitait la directrice. "Que voulez-vous savoir exactement ? Quel sujet vous intéresse ? Parce que pour vous répondre au mieux, j'ai besoin de savoir ce que vous attendez comme information." Cassy jouait les imbéciles, puisque c'était ce que voulait Sybil. Cassy allait l'ennuyer avec ses paroles, puisqu'elle voulait jouer à ce petit jeu.

Aux premiers mots de Cassiopée, Sybil se contenta de hocher la tête. Elle l'espérait bien que tout ça ne se reproduirait pas. Il fallait imposer des limites aux Inférieurs, leur faire comprendre où était leur place pour qu'ils ne se pensent pas tout permis. Peut-être les Gouverneurs n'avaient-ils pas été suffisamment sévères avec eux pour qu'ils s'imaginent aujourd'hui pouvoir prétendre à plus de libertés et d'égalité ?

A la demande de la directrice, Cassiopée s'était installée face à elle. Elle n'aimait pas discuter avec eux et se passait volontiers de leur présence, mais elle supportait moins encore le comportement de la professeure et elle était bien décidée à l'ennuyer autant que possible. Elle en profiterait également pour se renseigner sur sa classe et ses manières de travailler. S'en prenait-elle souvent aux Supérieurs, favorisait-elle souvent les Inférieurs ? Tous n'osaient peut-être pas se plaindre. Cette idée de mélanger les deux classes était complètement stupide. Sybil avait parfaitement conscience que Cassiopée se trouvait embêtée et elle se demandait si elle n'était pas en train de se moquer d'elle, mais cela avait peu d'importance. « Comment se passe vos cours ? Vos élèves sont-ils assez attentifs ? Avez-vous suffisamment d'autorité et de patience pour vous faire respecter et leur apprendre des choses ? Y-a-t-il des débordements dont j'ignore tout ? » proposa-t-elle comme question. « Vous voyez ? » Poursuivit-elle, prenant clairement Cassiopée pour une idiote.

Sybil se jouait de la situation, prenant à son tour Cassiopée pour plus bête qu’elle ne l’était. Mais Cassiopée n’y prêtait pas réellement attention, elle avait l’habitude de se faire traiter ainsi par les Supérieurs et elle savait bien qu’elle ne devait jamais réagir. « Mes cours se passent très bien. Les débordements, comme aujourd’hui, se font des plus rares bien heureusement. En général, tout le monde est très attentif en classe, ils posent des questions, s’intéressent. J’ai assez d’autorité pour gérer la classe, mais en règle générale, je n’en ai pas besoin, parce qu’en général, la classe est très respectueuse. Tous les élèves pourront vous dire exactement la même chose que moi, je vous l’assure. » Sauf cet imbécile de Supérieur qui était venu se plaindre à la grande méchante Sybil. Cassy était professeure depuis un long moment maintenant, elle savait gérer une classe, elle savait comment capter l’attention et comment la garder. Au début, c’était assez compliqué, mais maintenant, c’était très simple pour elle. La directrice pouvait profiter de sa prochaine visite pour interroger les élèves si elle le souhait, elle n’aurait normalement aucune mauvaise remarque concernant Cassiopée. Elle savait se faire apprécier des élèves, qu’ils soient Supérieurs ou Inférieurs. Bien évidemment, ce n’était pas si simple, il arrivait parfois qu’elle hausse la voix, qu’elle demande le silence ou autre chose de ce style, rien de très étonnant, les enfants n’étaient pas toujours facile à tenir. Mais bien évidemment, Cassiopée allait éviter de dire cela à la directrice, elle commençait à bien la connaître, et elle savait très bien ce qu’elle allait faire si Cassy osait lui dire ce genre de chose. Cassiopée tenait à son travail, elle ne voulait pas le perdre en prononçant ce qui permettrait à la directrice de briser une petite Inférieure sans importance.